Hamilcar, Le lion des sables
par sa famille. Epicide et Juba
avaient hésité à l’accompagner. Ils n’étaient pas carthaginois et ne vénéraient
pas Baal Hammon.
Le fils du
sénateur les avait interpellés sur un ton mi-badin, mi-sérieux :
— Avez-vous
peur à ce point des dieux de Carthage que vous redoutez de pénétrer dans le
sanctuaire du plus grand d’entre eux ? Pourtant, Epicide, regarde cette
inscription à ta droite. Un nommé Adrestos, fils de Protarchos, affirme avoir
offert au dieu un sacrifice. D’après son nom et celui de son père, c’est un
Grec, comme toi. Tu peux l’imiter. Quant à toi, Juba, je sais que ta mère est
venue à plusieurs reprises en ce lieu pour y déposer des amulettes. Cela ne
l’empêchait pas de vénérer ses propres dieux. Suivez-moi donc sans crainte pour
me prouver par votre présence votre amitié et implorons ensemble la bénédiction
de Baal Hammon à la veille du long périple que nous allons entreprendre.
Dès qu’ils
pénétrèrent dans le sanctuaire, une nuée de prêtres s’abattit sur eux. Chacun
d’entre eux prétendait être le meilleur desservant de la divinité. Ils se
querellaient entre eux, se bousculaient et piaillaient comme des moineaux.
Courroucé, Hamilcar se dégagea de leur étreinte et s’adressa à eux d’une voix
autoritaire :
— Je
suis Hamilcar Barca, fils d’Adonibaal, membre du Conseil des Cent Quatre,
petit-fils de Gerarshtart et arrière-petit-fils du suffète Hasdrubal ! Je
pars pour un long voyage et je tiens à me placer sous la protection de Baal
Hammon. Qui dira les prières pour moi et mes valeureux compagnons ?
Le prêtre
le plus âgé s’avança et salua respectueusement le jeune homme :
— Dans
ma lointaine jeunesse, j’ai eu l’insigne privilège de rencontrer le suffète
Hasdrubal. Puisses-tu avoir sa sagesse et ses mérites ! Viens, c’est moi
qui prononcerai les paroles qu’il faut dire en pareille circonstance.
Arrivé
devant la stèle érigée par la famille Barca, Hamilcar se recueillit longuement.
Puis la voix du vieil homme monta vers le ciel, s’affermissant à chacune des
phrases prononcées. Épicide et Juba, qui comprenaient le punique, ne perdaient
pas un mot de ce qui se disait même s’ils peinaient parfois à saisir certaines
formules archaïques. À l’issue de la cérémonie, Hamilcar remit au prêtre une
bourse bien remplie.
— Je
te confie cette somme. Pour édifier une stèle en mon nom et en celui de mes
compagnons, Épicide et Juba, sur laquelle tu feras graver ceci :
« Parce qu’il a entendu leurs voix, il les a bénis. » Avec l’argent
qui restera – et ce ne sera pas une mince somme – toi et
tes compagnons, vous serez pour quelque temps à l’abri du besoin.
Se
tournant vers ses amis, le fils du sénateur leur dit sèchement :
« Nous n’avons que trop tardé. Il est temps pour nous de nous présenter à
l’Amirauté. » D’un pas allègre, ils prirent la direction du port marchand.
C’était un endroit où ils s’étaient souvent promenés, attirés par l’atmosphère
insolite qui y régnait. Les navires venant de la haute mer pénétraient dans le
port marchand par un chenal d’une largeur de soixante-dix pieds, fermé chaque
soir par une lourde chaîne en fer. De multiples anneaux pour les amarres
étaient fixés dans la pierre des deux quais. Un peu en arrière de ceux-ci, se
trouvait une galerie marchande dont le toit était soutenu par des rangées de
colonnes de marbre. Du côté de la mer, la galerie était adossée à la muraille.
À l'entrée du chenal, en dehors de l’enceinte, un débarcadère avait été
aménagé. C’était un large terre-plein où les pêcheurs faisaient échouer leurs
barques minuscules le soir.
Le port
marchand de Carthage était sans égal au monde, prétendaient les habitants de la
cité. Sur les quais et à bord des navires, les marins s’interpellaient dans une
multitude de dialectes. On entendait parler punique, grec et latin, mais aussi
d’autres langues aux sonorités étranges. Les costumes des marins étaient aussi
variés que la forme des navires ou la couleur de leurs voiles. Tous les peuples
de la grande mer paraissaient s’être donné rendez-vous ici, déversant sur la
cité d’Elissa leurs richesses et leurs marchandises. Il y avait toujours dans
le port, en moyenne, de cinquante à soixante navires. À certaines périodes de
l’année, au plus fort de la belle saison, il arrivait même que des
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