Hamilcar, Le lion des sables
grandi dans la propriété de
Mégara, entouré du respect et des honneurs dus à son rang. Depuis dix ans, Juba
était l’hôte d’Adonibaal et, élevé lui aussi par Épicide, savait parler aussi
bien le grec que le punique. En dépit de son origine numide, il se sentait
profondément carthaginois et rêvait de s’illustrer aux côtés d’Hamilcar.
Entre les
deux jeunes gens, une tendre amitié était née alors qu’ils atteignaient leur
quinzième année.
C’était
cela qui avait provoqué la moue du sénateur lorsqu’il avait appris que son fils
avait décidé d’emmener avec lui Juba. Il n’ignorait pas que ce jeune garçon, à
la peau mate, aux cheveux crépus, à la musculature imposante et à la bouche
sensuelle, partageait de temps à autre la couche de son fils. Cela ne le
choquait pas outre mesure. Du fait de la mort de sa mère, Hamilcar avait
toujours vécu dans un milieu masculin. Les jeunes filles de la bonne société
carthaginoise étaient cloîtrées chez elles et nulle esclave n’aurait pris le
risque de s’introduire dans les appartements du jeune homme. Hamilcar se
consolait donc avec Juba. Ce qui inquiétait le sénateur, c’était que cette
tendre amitié, loin d’être une passade, semblait durer. De cela, il ne pouvait
être question et il avait espéré en vain que le départ de son fils pour la
Sicile l’éloignerait de Juba.
Blotti
contre l’épaule de son ami, le jeune prince numide questionna celui-ci :
— Es-tu
heureux de partir ?
— Mon
père m’a fait le plus beau des cadeaux en me permettant d’embrasser la carrière
des armes. J’aurais mauvaise grâce à m’en plaindre.
— Je
te comprends. Je suis heureux que tu aies décidé de faire de moi ton aide de
camp. Je redoutais d’avoir à te quitter. Tu es l’être le plus cher que j’aie au
monde.
— Tu
es mon ami, l’interrompit Hamilcar, et tant que tu le seras, tu demeureras à
mes côtés, comme ce soir.
Le fils
d’Adonibaal éteignit la petite lampe à huile qui éclairait leur réduit.
L’obscurité, propice à tant de choses, se fit. Nul n’entendit le râle étouffe
de Juba. Il n’y avait plus que la nuit, c’est-à-dire la promesse du lendemain.
Au petit
matin, Hamilcar et Juba furent réveillés par un gigantesque craquement de la
coque du navire. Ils s’habillèrent à la hâte et, suivis par Epicide, se
précipitèrent sur le pont du navire. Des marins couraient dans tous les sens,
obéissant aux ordres donnés du haut de la tourelle de commandement par
Abdmelqart. À l’arrière, deux solides gaillards avaient pris place pour
manœuvrer les deux gouvernails permettant de diriger le navire. Dans la cale,
les rameurs étaient prêts et n’attendaient plus que les ordres des
gardes-chiourme pour frapper de leurs avirons les flots. Du haut du bâtiment de
l’Amirauté, l’on entendit distinctement une trompette sonner. C’était le signal
du départ. Le navire s’ébranla petit à petit, quitta la loge et emprunta
lentement, majestueusement, l’étroit chenal menant au port marchand. Il pénétra
dans ce dernier, où régnait déjà une grande agitation, et se dirigea vers la
passe dont la chaîne de fer avait été relevée. De là, tournant vers la gauche,
il vogua vers la haute mer, laissant derrière lui les murailles de Carthage. Le
fils d’Adonibaal les regarda longuement avant qu’elles ne disparaissent
totalement de sa vue. En leur disant adieu, il disait adieu à sa jeunesse.
Chapitre 4
Lorsque le
navire eut atteint la haute mer, Hamilcar rejoignit sur la tour de commandement
Abdmelqart.
— Alors,
fils d’Adonibaal, quelle impression cela fait-il de quitter sa cité
natale ? plaisanta le capitaine.
— À
vrai dire, je n’y ai guère songé. J’étais tellement émerveillé par le spectacle
du port militaire et par la manière dont tu as manœuvré ce lourd navire que je
n’ai pas eu le temps de penser à ma pauvre personne. Tu dois être rudement fier
de commander pareil bâtiment.
— Un
bon capitaine est toujours fier de son navire, quel qu’il soit. Depuis que nous
avons évincé les Grecs de la grande mer, nous en avons la totale maîtrise et,
crois-moi, Carthage ne tolérera jamais qu’une autre cité lui dispute la
prééminence sur les flots.
— Combien
de temps va durer notre voyage ?
— Je
ne puis te le dire. Si les rameurs maintiennent leur cadence, j’espère que,
tard dans la nuit ou, au plus tard, demain matin, nous
Weitere Kostenlose Bücher