Hamilcar, Le lion des sables
à
deux fois. Dans les tavernes du port, on se gaussait ouvertement du consul
Cnœus Cornélius Scipion et de son sobriquet d’ânesse.
À peine
débarqué, Hamilcar fut conduit devant le Comité des Cinq pour faire son rapport
sur la situation en Sicile. A la surprise de tous, il ne se montra pas d’un
enthousiasme excessif. Pour lui, la défaite de Lipara était un simple épisode
dans une longue guerre et les Romains chercheraient à se venger par tous les
moyens de cet échec infamant. Il ne fallait pas sous-estimer leur
détermination. Quand il eut terminé son exposé, son père l’interrogea :
— J’ignorais
que tu étais devenu un partisan de Baalyathon.
— Qu’entends-tu
par là ?
— La
victoire nous sourit et tu nous tiens des propos pessimistes comme s’il nous
fallait faire la paix avec Rome.
— Autrefois,
Adonibaal, tu me reprochais d’être trop fougueux et tu m’exhortais à faire
preuve de calme et à analyser froidement la situation. C’est ce que je fais. Je
ne crois pas à une entente possible avec Rome, contrairement à Baalyathon. Mais
un excès d’orgueil peut nous inciter à prendre de mauvaises décisions.
— Peut-être
as-tu raison. Nous en saurons plus lorsque Hannibal le prudent nous fera
parvenir des informations sur ses opérations en Sicile.
Dès qu’il
put gagner Mégara, Hamilcar s’empressa de convoquer Épicide. Celui-ci accourut
immédiatement pour le saluer :
— Bienvenue
à toi, fils d’Adonibaal. On m’a raconté tes exploits et je t’en félicite.
— Et
moi, je t’apporte le salut d’Alcaïos.
En
entendant ce nom, le précepteur baissa la tête :
— Tu
sais donc.
— Oui,
je sais pourquoi tu n’as pas voulu m’accompagner à Panormos. Tu avais peur
d’être réclamé par ton ancien maître. C’est pour cela que le voyage était,
paraît-il, au-dessus de tes forces. Tu ne m’as pas menti, mais tu ne m’as pas
dit la vérité.
— Ordonne
et dispose de moi comme tu l’entends.
— C’est
bien ce que je compte faire en suivant à la lettre les instructions d’Alcaïos.
— Je
retournerai donc le servir à Panormos. Il a sans doute des petits-enfants qui
ont besoin d’un précepteur. Dommage, j’aurais tant aimé avoir pour élèves tes
fils !
— Tu
les auras. Alcaïos est un sage. Son fils est mort et il n’a plus de famille. Il
a décidé d’affranchir ses serviteurs à sa mort. Je n’ai pas la patience
d’attendre celle-ci. Aussi, avec l’autorisation de mon père, je te rends ta
liberté. À partir d’aujourd’hui, Épicide, tu n’es plus un esclave mais un homme
libre.
— Tu
me fais le plus beau et le plus redoutable des cadeaux, Hamilcar. Je suis né
esclave et l’ai toujours été, sauf pendant les quelques semaines entre ma fuite
de Panormos et ma capture par vos soldats. J’errais alors dans les montagnes
et, lorsque les Carthaginois m’ont fait prisonnier, j’ai été presque soulagé.
Les choses reprenaient leur cours normal. Maintenant, je ne sais trop que
faire.
— Nul
ne te chasse, Épicide. Tu peux continuer à vivre ici, à Mégara. Tu trouveras
bien à quoi t’employer jusqu’à ce que naissent mes fils.
— J’aurais
beaucoup à leur raconter sur leur père et sur ses prouesses.
Pendant
plusieurs semaines, Carthage vécut dans l’euphorie. Le bruit de sa victoire
s’était répandu dans tous les ports de la grande mer et les navires marchands
affluaient vers elle. Un matin, la trompette de l’Amirauté retentit, déchirant
le silence qui planait encore sur la cité. Une flotte de guerre était en vue.
Bientôt, on la vit entrer dans la baie puis dans le chenal menant au port
marchand. Sur les quais, la foule cessa bientôt de pousser des acclamations.
Les trirèmes et les quinquérèmes portaient toutes les traces des coups reçus au
combat. Sur certaines, les tours de commandement avaient été détruites. Sur
d’autres, les rebords du bastingage avaient été à moitié arrachés. Les rangs
des rameurs paraissaient clairsemés. Sur le pont, les officiers et les soldats
avaient l’air épuisés et le teint grisâtre des vaincus qui redoutent d’avoir à
se présenter devant les leurs. À la proue du navire de tête, se trouvait
Hamilcar, le visage balafré par une cicatrice.
Dans les
rues de la ville, les rumeurs les plus folles commencèrent à circuler. On
parlait d’une éclatante victoire remportée par Carthage en dépit de lourdes
pertes. Certains
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