Hamilcar, Le lion des sables
ton
fils porterait le nom. La cérémonie sera célébrée demain.
— Mais
Juba ?
— Il
est temps que tu te comportes en adulte. Ces amourettes ne sont plus de mise à
ton âge. Je l’ai expliqué à ton ami et lui ai dit que son père le réclamait
pour rétablir l’autorité de leur dynastie sur son peuple. Ce n’était qu’un
demi-mensonge. À plusieurs reprises, le vieux monarque m’a supplié de lui venir
en aide.
— Tu
n’avais pas le droit d’agir ainsi. Juba va penser que je l’ai trahi. Il me
vouera une haine mortelle qui pourra se retourner contre notre ville.
— Peu
importe. Tu épouseras demain celle que je te destine et qui me donnera les
petits-enfants dont j’ai besoin pour assurer la postérité de notre lignage.
— Père,
le respect filial m’ordonne de t’obéir et je ne trahirai pas la confiance que
tu places en moi, même si mon cœur est empli de chagrin. J’épouserai donc la
fille d’Hannibal le prudent. Pour l’aimer, c’est une autre question.
— Tu
risques d’être agréablement surpris.
Le mariage
se déroula dans l’intimité car la famille de la mariée portait encore sur elle
comme un fardeau l’opprobre que lui avait valu la mort ignominieuse de son chef
et avait juré qu’elle s’abstiendrait de toutes réjouissances jusqu’à sa
réhabilitation. En la voyant pour la première fois, Hamilcar fut étonné par le
charme, la beauté et la douceur de son épouse, de dix ans sa cadette.
Lorsqu’ils gagnèrent leur chambre, elle tremblait de tous ses membres, devinant
ce qui allait se passer et ne sachant quelle conduite adopter. Le fils
d’Adonibaal la rassura :
— Sache
que je suis aussi peu que toi préparé à cette union. Mon père l’a voulue et je
ferai tout pour te rendre heureuse. Mais je te connais à peine et je redoute de
te blesser ou de t’humilier. Je suis un soldat et je ne crains pas de recevoir
des blessures au combat mais nul ne m’a appris comment me conduire avec une
femme.
— Je
suis désormais ton humble servante et je te dois respect et obéissance.
— Ce
n’est pas ainsi qu’une Barca doit se comporter et parler. Tu as les mêmes
droits que moi. Donnons-nous le temps de nous découvrir mutuellement. Quand
l’amour s’éveillera entre nous, tu deviendras alors ma femme. Il te suffira de
porter sur ta tunique cette fibule d’or dont je te fais présent. J’ai la même
et, si tu me vois l’épingler alors à mon manteau, nous n’aurons pas besoin de
mots pour nous comprendre. Pour le moment, jouons la comédie à nos familles
respectives. Elles ne doivent rien savoir de notre pacte. Ce sera un secret
entre nous. Je vois que tu souris. C’est un bon signe. Nous sommes d’ores et
déjà complices.
***
Hamilcar
avait abandonné le commandement de la garde sénatoriale. Son beau-frère,
Hannibal, l’avait appelé auprès de lui à l’Amirauté tant pour avoir un œil sur
lui que pour l’associer de plus près aux opérations en cours en Sicile. L’une
de leurs premières décisions fut d’ordonner à Adherbal de mouiller avec une
partie de sa flotte à Drépane [26] , à cent vingt stades de Lilybée. Des espions les avaient en effet
informés des projets d’attaque contre cette ville ourdis par Publius Claudius
Pulcher, le nouveau consul. C’était un homme bouffi d’orgueil qui se targuait
volontiers d’être un génie en matière militaire. Grâce à sa famille,
particulièrement influente à Rome, il avait obtenu du Sénat l’envoi de
nouvelles légions. Après avoir débarqué à Messine, elles avaient gagné à pied
le camp retranché de Lilybée. Dès qu’elles furent arrivées, le consul convoqua
l’ensemble de ses soldats, vétérans et nouvelles recrues confondus, et leur
annonça qu’il comptait passer sous peu à l’offensive. Pour les encourager, il
leur fit miroiter la perspective d’un riche butin grâce auquel ils pourraient
assurer la fortune de leurs familles.
Les
légionnaires, séduits par ce discours, furent nombreux à se porter volontaires
pour servir à bord des navires. Ceux-ci levèrent l’ancre au milieu de la nuit.
Au petit matin, ils étaient en vue de Drépane, prêts à fondre sur la flotte
carthaginoise. Conformément à la coutume, Publius Claudius Pulcher voulut
consulter les poulets sacrés embarqués à bord du navire amiral. S’ils
mangeaient le grain qu’on leur offrait, c’était l’assurance de la victoire.
Dans le cas contraire,
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