Hamilcar, Le lion des sables
c’était un mauvais présage et les plus superstitieux
refusaient dans ces conditions d’engager le combat. Or, il se trouva que, gavés
de nourriture, les volatiles se refusèrent à avaler la pitance qui leur était
destinée. Fou de rage, le consul les fit jeter à la mer en jurant
grossièrement : « S’ils ne veulent pas manger, qu’ils
boivent ! » Les soldats, au lieu de prendre au sérieux cet
avertissement, s’esclaffèrent et acclamèrent leur chef dont l’audace impie leur
insuffla un surcroît de courage.
À vrai dire,
les Romains avaient l’avantage, en théorie du moins. Les équipages carthaginois
étaient en effet à terre et les mercenaires s’étaient égaillés en ville pour y
faire ripaille. Dès qu’il aperçut la flotte adverse, Adherbal ne perdit pas la
tête. Il convoqua ses officiers et leur enjoignit de rassembler dans le plus
grand silence leurs hommes. Il ne fallait pas que l’ennemi, trop loin pour
apercevoir ce qui se passait dans la cité, se rendît compte que l’alerte avait
été donnée. Quand tous les soldats et les marins furent rassemblés, Adherbal
leur expliqua son plan :
— Publius
Claudius Pulcher pense que nous sommes en train de dormir. Il ne faut pas le
détromper. Aussi, vous monterez à bord des navires et vous vous cacherez dans
les cales. Eux, vont continuer à avancer et vont pénétrer dans le port, sur
notre gauche. Nous les laisserons s’engager et, à mon signal, tous nos bateaux
lèveront l’ancre et gagneront la haute mer pour se déployer en ordre de
bataille. Les Romains n’auront pas le temps de faire marche arrière et ils
devront continuer jusqu’aux quais avant de pouvoir manœuvrer. Croyez-moi, si
vous suivez mes consignes, la victoire nous appartient.
Adherbal
avait vu juste. Les navires romains tombèrent dans le piège qui leur était
tendu. À peine les deux premiers avaient-ils pénétré dans le port que les siens
gagnèrent le large à grands coups de rames. Dans les cales, certains soldats
s’étaient assis à côté des rameurs pour les aider à remuer les lourds avirons
et à prendre le maximum de vitesse. Furieux, Publius Claudius Pulcher dut
donner l’ordre à sa flotte de faire demi-tour. Mais l’espace était si mesuré
que bon nombre de navires s’éperonnèrent et coulèrent. Leurs équipages nagèrent
jusqu’au rivage où les troupes carthaginoises demeurées en ville les firent
prisonniers. Les autres bateaux se retrouvèrent face à la flotte d’Adherbal et
furent rejetés vers le rivage rocheux au nord de Drépane où ils se brisèrent. À
la tête de trente navires, le consul put s’échapper, abandonnant à l’ennemi
quatre-vingt-treize trirèmes et quinquérèmes.
Publius
Claudius Pulcher se replia sur Panormos afin de reconstituer ses forces et de
faire appel à son collègue, Lucius Junius Pullus. Celui-ci avait réuni à
Rhêgion une flotte de cent vingt bateaux et se dirigea vers Syracuse où Hiéron
lui fournit tous les approvisionnements nécessaires. De là, il partit à la
recherche de la flotte carthaginoise qu’il espérait trouver à la hauteur de
Drépane. Peu familier des choses de la mer, il n’écouta pas les pilotes qui le
mettaient en garde contre les risques de tempêtes. On approchait en effet de la
mauvaise saison et celle-ci était souvent précédée de violents coups de vent
que les marins expérimentés redoutaient. C’est effectivement ce qui se passa.
Alors que les deux flottes s’apprêtaient à s’affronter, une violente tempête se
leva. Adherbal eut tout juste le temps de se réfugier à l’abri en doublant le
cap Pachynos [27] . Les navires du consul, faute de pouvoir s’abriter dans un port ami,
sombrèrent ou furent jetés sur la côte, bientôt jonchée de débris et de
cadavres. En quelques semaines, Rome avait perdu l’essentiel de sa flotte et ce
n’était là que le début de ses revers.
Ayant
échappé à la colère des flots, Lucius Junius Pullus gagna le mont Eryx [28] , au nord de Panormos. Sur cette hauteur, se trouvait un temple, le
plus riche de l’île, érigé en l’honneur de la déesse Aphrodite, que les Romains
appellent Vénus et les Carthaginois Ashtart.
Pour ces
derniers, la décision du consul constituait un défi et une insulte. Vénus était
en effet la mère d’Énée, le prince troyen, qui, jadis, avait accosté sur les
rivages de Carthage et séduit la reine Elissa avant de l’abandonner pour partir
fonder une ville dans le
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