Hannibal, Sous les remparts de Rome
puis partirent, chacun de leur
côté, vers leur destin.
À Tyr,
l’ex-suffète avait reçu la visite d’émissaires d’Antiochos venus lui souhaiter
la bienvenue de la part de leur maître et lui indiquer que ce dernier, retenu
en Thrace, le recevrait, à l’automne suivant, à Éphèse. Il rongea donc son
frein pendant de longs mois. Incertain du sort qui lui serait réservé, il ne
voulut pas acheter de maison et fut hébergé par un marchand, Ariston, dont les
navires se rendaient souvent à Carthage. C’est ainsi qu’il apprit, sans trop de
surprise, que le Conseil des Cent Quatre avait ordonné la confiscation de tous
ses biens et décrété l’arrestation des plus importants de ses partisans, dont
le fidèle Maharbal. Ses ennemis étaient désormais les maîtres absolus de la
cité et multipliaient les gestes d’amitié avec Rome. C’était pour eux un moyen
de montrer que la fuite d’Hannibal ouvrait une ère nouvelle dans les rapports
entre les deux villes, puisque le principal objet de leur discorde ne
constituait plus une menace. Le fils d’Hamilcar pleura de honte quand il apprit
que le Sénat carthaginois avait envoyé deux ambassades assister aux triomphes
de Caton, vainqueur des montagnards ibères révoltés, et de Titus Quinctius
Flaminius, le « libérateur de la Grèce ». Désormais, très souvent, il
faisait la nuit le même cauchemar : il se voyait attaché au char d’un
consul, marchant jusqu’au temple de Jupiter Capitolin, essuyant les crachats et
les insultes de la foule, avant d’être égorgé dans un cachot obscur. Chaque
fois, il se réveillait, ruisselant de sueur, et mettait un temps fou à
retrouver le sommeil. Consulté, un médecin lui conseilla de boire, tous les
soirs, avant de s’assoupir, une coupe de vin chaud et, surtout, lui remit un
poison foudroyant qui le tuerait en quelques secondes s’il venait à être pris.
C’était devenu une obsession. Partout où il allait, il vérifiait soigneusement
qu’il avait à portée de main l’une des doses contenues dans le chaton d’une
bague.
À
l’automne, comme prévu, Antiochos lui accorda une audience dans sa capitale, Ephèse,
une cité magnifique, ornée de temples somptueux. Le palais, immense, regorgeait
de richesses et une foule de courtisans grouillaient dans les allées et les
couloirs, surveillant chaque nouveau venu et jaugeant, à sa mine, s’il fallait
ou non lui accorder crédit. Escorté par des gardes auxquels il avait remis son
glaive, le vainqueur de Cannae fut conduit dans un vaste jardin ombragé où le
Séleucide aimait à passer ses journées, entouré de ses favoris et de ses
conseillers. Fait rare et noté par l’assemblée, le monarque se leva dès qu’on
annonça l’arrivée du fils d’Hamilcar et s’avança à sa rencontre.
— Ainsi,
dit-il d’une voix joyeuse, voilà l’homme qui a traversé les Alpes, défait les
Romains en de nombreuses batailles et que les poètes comparent à Alexandre. Je
suis heureux de te rencontrer et de t’offrir mon hospitalité.
— Tes
nobles paroles me touchent profondément. Pourtant, je ne suis plus qu’un
proscrit, chassé de sa patrie par des intrigants. La gloire que tu évoques
appartient au passé.
— Je
comprends ton amertume. Rien n’est cependant définitivement joué et tu pourras,
si les dieux le souhaitent, reprendre un jour la place qui est légitimement la
tienne.
— Il
m’arrive parfois d’en douter. Ma famille n’a cessé de se dévouer pour Carthage.
Adonibaal, mon grand-père, n’en a tiré aucun profit, mon père, mon beau-frère
et mes deux frères ont péri à son service et, moi, le dernier représentant de
cette lignée, me voici banni.
— Je
sais lire dans le cœur des hommes. Tu ne penses pas véritablement ce que tu
viens de dire. Car ton nom suffit à faire trembler les plus puissants et tes
compétences sont telles qu’un souverain serait bien mal avisé de ne pas les
utiliser. Tu es, tous le reconnaissent, le meilleur général de notre temps et
tu sais mieux que quiconque mener une armée à la bataille et dresser des plans
qui t’assurent la victoire même lorsque tes troupes sont numériquement
inférieures à celles de l’adversaire.
— Ces
talents, que tu veux bien reconnaître, sont à ta disposition. Je suis prêt à
servir sous tes ordres et à combattre tes ennemis, à commencer par le plus
féroce d’entre eux, Rome.
— Tu
ne manques pas de perspicacité. Sous peu, je te
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