Hannibal, Sous les remparts de Rome
doute raison, fît le Romain. Quel serait le second ?
— Pyrrhus,
roi d’Épire, parce qu’il était le meilleur dans l’art de construire et
d’assiéger des forteresses et qu’il excellait dans la pratique de la
diplomatie. Il savait éviter les guerres en concluant des traités avantageux
pour lui mais ménageant la susceptibilité de la partie adverse.
— Et
si tu avais vaincu Scipion à Zama, quel rang te serais-tu attribué ?
— Le
premier.
— C’est
plutôt flatteur pour ton vainqueur.
— Je
l’estime à sa juste valeur, contrairement à certains de ses concitoyens au
nombre desquels, m’a-t-on dit, tu figures en bonne place.
L’émissaire
romain rapporta scrupuleusement à Antiochos les propos du Punique, soulignant
qu’à aucun moment celui-ci n’avait jugé bon de mentionner le Séleucide parmi
les grands militaires de l’histoire. Furieux, le roi fit convoquer le fils
d’Hamilcar :
— On
te dit adversaire résolu de Rome mais tu dînes avec l’un de ses représentants.
— Il
est ton invité et je voulais éviter tout incident. Il aurait pu être vexé de
mon refus et t’obliger de la sorte à d’inutiles concessions.
— Tu
n’as pas tort. Cela dit, est-il vrai que tu doutes de mes capacités
militaires ?
— En
aucun cas. Je constate que les fils de la Louve veulent semer la discorde entre
nous et qu’ils ont failli réussir. À toi que je considère comme un ami, je peux
faire une confidence. Il y a longtemps de cela, alors qu’il était sur le point
de partir pour l’Ibérie, mon père réunit tous ses enfants dans le sanctuaire de
Baal Hammon. Là, il nous fit prêter le serment suivant : « Par Baal
Hammon, je jure de haïr Rome et les Romains jusqu’à mon dernier souffle et de
tout faire pour que cette race et cette ville maudites disparaissent de la
surface de la terre. » Je suis toujours resté fidèle à cette promesse et
j’espère la réaliser avant que la mort ne vienne me prendre. Si tu partages,
comme je le pense, ce point de vue, tu trouveras en moi l’allié le plus loyal.
— Tu
oublies de répondre à ma question : doutes-tu de mes capacités
militaires ?
— Parce
que je n’ai pas cité ton nom avec ceux d’Alexandre, de Pyrrhus et de
Scipion ? J’étais sûr que notre ami romain se servirait de ce fait contre
moi. Je ne l’ai pas fait pour une seule raison : tu as déjà remporté des
victoires mais elles ne sont rien à côté de celles qui t’attendent si tu ne
tombes pas dans le piège tendu par les trois consuls. Ils veulent conclure la
paix avec toi pour te priver des lauriers que te vaudront de nouveaux combats.
Et ces lauriers seront d’autant plus glorieux qu’ils récompenseront les
triomphes obtenus non pas sur quelques roitelets grecs mais sur la première
puissance de l’Occident, Rome.
— Je
ne tolérerai pas pareil attentat à ma gloire. D’ailleurs, je puis te le dire,
ces négociations tournent en rond. Je ne suis pas disposé à céder la Thrace que
je tiens de mon grand-père et je suis excédé par les disputes incessantes des
délégués des cités grecques que j’ai eu le tort d’inviter à cette conférence.
Excités par Eumène, ils ne cessent chaque jour de se montrer de plus en plus
arrogants et de défier mon autorité. Dès demain, je renverrai à Rome ses
ambassadeurs. Quant à toi, mets-toi au travail et soumets-moi le plus
rapidement possible un plan de campagne contre Rome.
De retour
dans son palais, Hannibal s’enferma avec quelques officiers et travailla
d’arrache-pied, jour et nuit, pendant plus d’un mois, s’accordant à peine
quelques heures de sommeil au petit matin. Du fruit de ces cogitations naquit
un projet extraordinaire, digne du meilleur des stratèges.
Avec une
centaine de vaisseaux spécialement équipés pour transporter dix mille fantassins
et mille cavaliers, le chef punique s’embarquerait pour Carthage où il
prendrait le pouvoir et lèverait de nouveaux contingents pour les faire passer
en Sicile et en Italie. Pendant ce temps, le monarque séleucide prendrait à
revers les Romains en Grèce avant de gagner le sud de la péninsule italienne
pour y faire sa jonction avec le fils d’Hamilcar. Tous deux marcheraient alors
sur Rome et obligeraient cette dernière à renoncer à toutes ses conquêtes au
sud du Tibre.
Pour
préparer son retour dans sa patrie, l’ancien suffète avait envoyé sur place un
émissaire dans lequel il avait toute
Weitere Kostenlose Bücher