Hannibal, Sous les remparts de Rome
menant jusqu’au maqom.
Devant les
sénateurs, Magon fit le récit des exploits accomplis par l’armée depuis son
départ de Carthagène. Son exposé, clair et concis, empreint d’une modestie de
bon aloi – il prit soin de vanter le courage de ses hommes et de ne
pas mentionner trop fréquemment le nom de son frère –, fut salué par un
tonnerre d’applaudissements. Avant même qu’Itherbaal, le chef du parti barcide,
ne prenne la parole, l’un de ses partisans, Himilcon, se dressa et lança à
Hannon le grand, le principal dirigeant de la faction adverse, ces mots :
— Dis-nous,
Hannon, si tu regrettes toujours que nous ayons déclaré la guerre à Rome.
Veux-tu toujours qu’on livre à cette dernière Hannibal parce qu’il a eu l’audace
de s’emparer de Sagonte et de vaincre par deux fois les consuls à Trasimène et
à Cannae ? Parle donc afin que nous puissions entendre un Romain
s’exprimer dans l’enceinte du sénat de Carthage !
— A
vrai dire, rétorqua l’intéressé, d’une voix mordante d’ironie, je n’avais pas
l’intention de m’exprimer aujourd’hui pour ne pas gâcher l’allégresse générale
par quelques réflexions de bon sens. Mais ne pas répondre à Himilcon serait une
faute grave de ma part. Oui, je le dis en toute franchise, je déplore toujours
la rupture de la paix et je le ferai tant que la cité de Romulus ne me
proposera pas un traité rendant à notre ville le rang qui fut jadis le sien.
J’ai écouté avec attention Magon et j’ai vibré avec lui au récit des hauts
faits d’armes de nos valeureux soldats. Je me réjouis de nos victoires mais,
pour en mesurer l’importance réelle, j’ai une seule question à lui poser.
— Laquelle ?
fit Magon.
— Dis-moi
quels sont les peuples qui se sont ralliés à ton frère après tant d’éclatants
succès.
— Ils
sont innombrables, à commencer par les Gaulois cisalpins qui, après avoir
longtemps hésité, sont désormais nos plus sûrs alliés. Au lendemain de Cannae,
une partie des Apuliens, bon nombre de Samnites, les Lucaniens, les Campaniens
et les Bruttiens nous ont envoyé des ambassadeurs et nous ont promis leur
concours au même titre que les dirigeants des cités grecques du sud de la
péninsule. Je sais aussi que les Siciliens et les Sardes sont prêts à se
soulever contre les garnisons romaines dont les effectifs ont été considérablement
réduits. En un mot, Rome est isolée et toute l’Italie marche derrière nous.
— En
es-tu sûr ?
— Oui.
— Tu
te trompes et tu nous trompes !
— Hannon,
ma patience a ses limites et tu pourrais regretter tes paroles !
— Magon,
je n’ai pas voulu t’offenser car j’ai pour toi le plus grand respect.
Toutefois, je dois constater que tu n’as pas répondu à ma question. Tu as cité
des peuples qui sont les sujets des Romains parce que ces derniers les ont
vaincus et les ont soumis à l’obligation de payer tribut. Il est normal qu’ils
tentent de secouer le joug de leur maître. N’importe quel esclave, même le plus
vil, agirait de la sorte ! C’est la réaction naturelle d’un chien trop
longtemps tenu en laisse et qui a réussi à se libérer de ses liens.
Tu m’aurais
autrement convaincu si tu avais mentionné le nom d’un seul peuple latin ayant
fait défection. Et j’aurais été fou de joie si tu m’avais appris qu’une au
moins des trente-cinq tribus composant Rome s’était révoltée contre l’autorité
du Sénat. Ce n’est pas le cas et tu le sais bien. Oseras-tu cacher à mes
collègues qu’il a suffi d’un discours de Lucius Manlius Torquatus pour que les
fils de la Louve refusent de racheter les vingt mille captifs tombés entre vos
mains et ce en dépit de la formidable pression exercée sur le Sénat par leurs
parents ? Une cité capable de sacrifier un nombre aussi grand de ses
propres enfants n’est pas vaincue, loin de là, et elle m’apparaît encore plus
redoutable qu’avant. Tu as mentionné les ambassadeurs des Samnites et des Lucaniens ?
Où sont ceux envoyés par Rome pour quémander la paix ? Es-tu porteur de
propositions faites par eux et, si oui, quelles sont-elles ? Tu te tais
car tu ne peux rien objecter à mes remarques.
— Tiens-tu
pour négligeables nos victoires à Trasimène et à Cannae ?
— Tu
es trop jeune pour avoir connu ces événements mais ton père, Hamilcar, s’il
était encore parmi nous, pourrait t’en parler. Lors de la précédente
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