Hasdrubal, les bûchers de Mégara
une tradition
immémoriale, de nombreuses prostituées s’étaient installées à proximité des
Castra Cornélia et s’étaient mises en ménage soit avec des Numides, soit avec
des Romains. Circulant librement à l’intérieur de l’enceinte, partageant la vie
de leurs amants et les beuveries auxquelles ils s’adonnaient, elles glanaient
de précieuses informations sur les opérations projetées, nous permettant ainsi
de tendre des embuscades aux colonnes ennemies.
Dès qu’il
eut installé ses positions au nord de Mégara, le jeune consul se comporta comme
l’Hercule de la mythologie grecque que nous vénérions, nous Carthaginois, sous
le nom de Melqart. Il entreprit, ainsi que me le fit remarquer mon vieux
précepteur Aristée, de nettoyer les écuries d’Augias et de rétablir, lui aussi,
une stricte discipline dans les rangs de ses troupes. Les ayant rassemblées, il
leur tint un discours d’une extrême sévérité :
« Soldats,
quand je servais avec vous sous le commandement de Manilius, je vous ai
toujours donné l’exemple de l’obéissance comme chacun d’entre vous peut en
témoigner. Maintenant que je suis votre chef, j’exige la même chose de vous.
Parce que j’ai le pouvoir de châtier sévèrement les fautifs, je préfère vous en
avertir auparavant. Vous savez quels sont vos agissements et cela m’évite
d’avoir la honte d’en parler… Vous êtes plus des voleurs que des militaires.
Vous êtes attirés par le luxe avant même d’avoir remporté la victoire. C’est
pour cette raison que, jusque-là, l’ennemi affaibli a relevé la tête. Je veux
bien passer l’éponge sur le passé. Je suis venu ici pour vaincre, non pour
piller, pour battre l’ennemi. Maintenant, que tous ceux d’entre vous qui ne
sont pas des soldats quittent le camp dans un délai de deux jours. Quant à
vous, légionnaires, renoncez au luxe et au lucre. »
Venant
d’un autre que Publius Cornélius Cornélius Scipion Aemilianus, ces paroles
auraient valu à leur auteur d’être mis en pièces. Or elles furent follement
acclamées par ceux qu’elles visaient. Après tant de mois passés loin de leur
patrie à obéir aux ordres de généraux incompétents, les légionnaires étaient
heureux de constater qu’un véritable chef les commandait et était prêt à les
mener à la victoire. C’est donc sans difficulté que la quasi-totalité d’entre
eux acceptèrent de se plier à ses ordres. Les quelques fortes têtes qui osèrent
défier le petit-fils adoptif de l’Africain furent rapidement mises à la raison.
Surpris en train de piller, un soldat était condamné à dix coups de verge et,
en cas de récidive, était exposé au soleil, sans recevoir ni eau ni nourriture,
pendant plusieurs jours. Cette méthode porta ses fruits. Très rares furent
désormais les cas de vol et ce d’autant plus que les coupables ne pouvaient
plus écouler leur butin auprès des civils auxquels Scipion avait fait interdire
l’accès de son camp.
Cette
décision fut de loin celle qui me gêna le plus. Mis dans l’impossibilité de
rencontrer des légionnaires, nos espions avaient désormais les plus grandes
difficultés pour récolter des informations. Or nous en avions bien besoin car
il était clair que les Fils de la Louve préparaient une offensive de grande
envergure. Toute la journée, mes éclaireurs pouvaient les apercevoir faisant
l’exercice sur le champ de manœuvres ou partant pour de longues marches
destinées à éprouver leur endurance. D’autres étaient occupés à réparer les
machines de guerre et à entasser dans des chariots les blocs de pierre et les
traits destinés aux catapultes et aux balistes. Privé de renseignements, je dus
ordonner la multiplication des patrouilles afin de surveiller les mouvements de
l’adversaire mais elles n’évitèrent pas que se produise une catastrophe lourde
de conséquences pour la suite du siège.
Un soir,
ce que je redoutais arriva. Nous étions au début de la belle saison et la
journée qui venait de s’écouler avait été exceptionnellement chaude. Les rues
étaient restées quasiment désertes, les habitants se cloîtrant chez eux pour y
trouver un peu d’ombre. Avec mon état-major, j’avais effectué une tournée
d’inspection de l’enceinte et j’en étais reparti rassuré. Les hommes y étaient
postés en nombre suffisant et relevés à intervalles réguliers. Au loin, dans le
camp ennemi, l’inaction la plus totale régnait ou
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