Hasdrubal, les bûchers de Mégara
Louve pouvaient lancer une
attaque surprise et pénétrer dans notre cité avant que les renforts n’aient eu
le temps d’arriver.
Dès le
lendemain matin, je pris les mesures radicales qui s’imposaient. Des crieurs
publics parcoururent les rues de la cité pour annoncer que les comptables du
Trésor public distribueraient aux hommes mobilisés leurs arriérés de solde
restant dus. Aussitôt, des milliers de soldats se précipitèrent vers les
casernes pour profiter de cette aubaine. Aucun, faut-il le préciser, ne
manquait à l’appel. Se bousculant pour parvenir jusqu’aux fonctionnaires
chargés de leur verser la somme escomptée, ils ne prirent pas garde à ce qui se
passait autour d’eux. Les unités les plus fidèles de la garnison avaient pris
position à l’entrée des casernes dont les lourdes portes furent refermées. Je
me rendis dans chacune d’elles pour m’adresser aux soldats et les prévenir
qu’ils étaient désormais consignés dans leurs cantonnements et que ceux qui
tenteraient de se soustraire à cette obligation seraient aussitôt exécutés comme
déserteurs. Ma réputation m’avait précédé et chacun savait que je n’hésiterais
pas à mettre en application cette menace.
Durant
plusieurs jours, les recrues, après vérification de leur équipement, furent
soumises à un entraînement intensif et, chaque soir, dix mille d’entre elles se
postaient le long du chemin de ronde pour veiller jusqu’au petit matin. Après
m’être occupé de l’armée, je me consacrai aux civils, notamment à ceux employés
dans les arsenaux militaires dont la production avait considérablement diminué.
A l’enthousiasme des premiers temps – chacun se souvenait que nos
femmes avaient offert leur chevelure pour tresser les cordages dont nous avions
besoin – avait succédé un certain relâchement. Les ateliers avaient
été progressivement désertés par leurs ouvriers et leurs ouvrières, à de rares
exceptions près. Même si nous disposions de stocks importants de glaives, de
boucliers, d’arcs, de flèches, de frondes et de balles en argile, je savais
qu’en cas de reprise des combats ils seraient vite épuisés et que nous
n’aurions pas le temps de les reconstituer. Sur mon insistance, le Conseil des
Cent Quatre publia plusieurs édits ordonnant la mobilisation de toute la
main-d’œuvre civile disponible, les récalcitrants étant désormais passibles de
lourdes amendes, voire de la confiscation de leurs biens.
Avec les
intendants, j’effectuai aussi une inspection détaillée de nos greniers à
provisions. En principe, ils devaient être remplis à ras bord. Je découvris que
tel n’était pas toujours le cas. Des dénonciations anonymes m’apprirent que
certains fonctionnaires peu scrupuleux avaient puisé dans les réserves pour se
constituer des stocks à leur usage ou qu’ils avaient vendu d’importantes
quantités de grains à des marchands bien décidés à spéculer sur le cours des
denrées alimentaires si ces dernières venaient à manquer. Des perquisitions
eurent lieu au domicile des coupables et nous permirent de récupérer des
centaines de boisseaux de blé et d’orge. Je fis verser ceux qui avaient trempé
dans ces sordides affaires dans des unités combattantes et les fis remplacer
par des hommes envers qui j’avais toute confiance.
Ces
mesures me valurent l’inimitié d’une partie de la population. Mes informateurs
me rapportèrent que de nombreux Carthaginois se plaignaient de la dictature
impitoyable que j’exerçais sur eux. Je n’avais cure de ces propos. À mes yeux,
notre ville courait désormais un danger mortel et Mutumbaal n’avait pas eu tort
de me faire revenir pour remettre de l’ordre dans la conduite des opérations
militaires. Jusque-là, nous avions eu la chance d’avoir pour adversaires des
généraux incompétents dont nous avions mis à profit les multiples erreurs de
stratégie pour leur infliger de lourds revers. Avec la nomination à la tête de
l’armée ennemie de Publius Cornélius Scipion Aemilianus, la situation avait
changé du tout au tout et je m’en rendis vite compte à quelques signes en
apparence anodins.
Pendant
longtemps, nous avions profité du désordre régnant dans le camp romain pour y
introduire nos espions. Ils se mêlaient à la foule des citoyens les plus
misérables d’Utique venus acheter aux légionnaires le produit de leurs rapines
dans les fermes environnantes. De plus, suivant en cela
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