Hasdrubal, les bûchers de Mégara
semblait régner. Les Fils de
la Louve souffraient encore plus que nous de ces premières chaleurs et ne
paraissaient pas en état de combattre. Tout était si calme qu’exceptionnellement,
je décidai de ne pas passer la soirée à mon quartier général mais de rendre
visite à ma famille, dans notre palais de Mégara. Mes enfants seraient touchés
de cette attention et mon épouse, Himilké, n’y trouverait rien à redire.
J’ai omis
de le dire mais, depuis quelques jours, nos relations s’étaient notablement
améliorées. Certes, avec ses amies, elle ne manquait pas une occasion de médire
d’Arishat et de répandre sur elle les pires calomnies. Toutefois, ce qu’on lui
rapportait de mon inlassable dévouement pour la défense de notre ville l’avait
favorablement impressionnée et elle cherchait les moyens de se rapprocher de
moi, du moins d’éviter toute querelle préjudiciable à ma sérénité.
Je
l’avoue, ce soir-là, je fus heureux de retrouver notre palais, l’un des plus
riches de notre ville. Mon fils et ma fille, ravis de cette visite inopinée,
m’emmenèrent me promener dans les jardins soigneusement entretenus par une nuée
d’esclaves et où les fontaines déversaient joyeusement des torrents d’eau. Avec
eux, je visitai la ménagerie où toutes sortes d’animaux s’ébattaient en liberté
ou demeuraient enfermés dans des cages. Bientôt, épuisés par cette longue
course, mes enfants regagnèrent leurs chambres et je restai avec Himilké,
couchés sur des lits de repos installés sur la terrasse où l’on nous servit un
copieux repas auquel nous fîmes honneur. A la fin du dîner, durant lequel nous
avions échangé des propos sans grande importance, elle passa aux choses
sérieuses :
— Quand
comptes-tu te débarrasser de cette courtisane d’Arishat ?
— Pourquoi
le ferais-je ? Voilà des années que tu me refuses l’entrée de tes
appartements. Je suis bien obligé d’aller chercher ailleurs de quoi assouvir
mes sens.
— Je
puis comprendre qu’elle t’a été un jour utile. Elle a cessé de l’être. Par
contre, tu n’ignores pas que ma famille est suffisamment puissante et influente
pour t’aider dans tes négociations avec le Conseil des Cent Quatre. J’aime et
je respecte ton père et je ne lui ai pas ménagé mon appui, notamment lorsqu’il
était la cible d’attaques injustes. Il a besoin des miens pour conserver la
majorité au sein de notre Sénat et ceux-ci s’y montreront d’autant plus
disposés quand ils apprendront que tu te comportes désormais en époux loyal et
attentionné.
— Je
te remercie de ta franchise. Le sacrifice que tu exiges de moi est de taille et
je te promets d’y réfléchir.
J’avais à
peine prononcé ces mots qu’au loin retentirent plusieurs sonneries de
trompettes. Je compris que les gardes en faction à l’extrémité nord de Mégara
donnaient l’alarme. En quelques minutes, je revêtis ma cuirasse, enfourchai mon
cheval et galopai à bride abattue vers cette portion de notre enceinte, sans
doute victime d’une attaque des Romains. C’était effectivement le cas.
Profitant de l’obscurité, des centaines de légionnaires, munis d’échelles et de
cordages, tentaient de l’escalader. Je parvins, non sans difficulté, à
repousser cet assaut mais les combats durèrent plusieurs heures. J’étais à ce
point accaparé par les ordres que je donnais qu’il ne me vint pas à l’idée que
cette attaque était une manœuvre de diversion.
Ce fut là
mon erreur, une faute de jugement qu’aujourd’hui encore je ne me pardonne pas.
Car, pendant ce temps, Scipion Aemilianus s’était porté sur une autre partie de
la muraille, distante d’une vingtaine de stades, dont les défenseurs étaient,
en partie, venus à notre secours. Ceux restés sur place luttèrent vaillamment
et repoussèrent les assaillants au prix de lourdes pertes. Malheureusement,
devant la portion de l’enceinte dont ils avaient la garde, se trouvait une tour
isolée dont les Romains s’emparèrent. Leur consul y fit monter plusieurs
dizaines de soldats portant avec eux des planches et des poutres au moyen
desquels ils dressèrent une passerelle par laquelle ils purent accéder au
chemin de ronde de la muraille principale et avancer jusqu’à une poterne qu’ils
firent voler en éclats. Par ce passage, environ quatre mille des leurs purent
pénétrer dans Mégara et y provoquer la panique.
Dans ce
faubourg à moitié rural,
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