Hasdrubal, les bûchers de Mégara
vivaient, dans des cahutes et des bâtiments de
fortune, plusieurs milliers de réfugiés venus des campagnes environnantes et
d’Apsis. Entendant le bruit des combats, ils abandonnèrent leurs misérables
demeures et refluèrent, dans une cohue indescriptible, vers la seconde enceinte
défendant l’entrée de la ville proprement dite. Sur leur passage, ils
ralliaient à eux les habitants des domaines aristocratiques, obligés de quitter
leurs palais en emportant avec eux le strict nécessaire. A la foule se mêlaient
les troupeaux d’animaux paissant dans les jardins et les vergers de Mégara.
Bithya, qui était de garde à la porte de Mégara, ordonna qu’on les fît entrer
dans la ville où ils se répandirent en désordre, réveillant nos concitoyens à
leur tour saisis de panique.
Avec
plusieurs centaines de cavaliers, Bithya se fraya un chemin à travers la cohue
des fuyards pour se porter à ma rencontre et pour protéger ma retraite. Nous
pûmes nous replier en bon ordre car Publius Cornélius Scipion Aemilianus, faute
de guides, préféra ne pas s’aventurer plus avant dans Mégara. Il se contenta de
prendre le contrôle de la muraille, éliminant, les uns après les autres, les
postes de garde isolés.
Quand le
soleil se leva, je pus constater l’ampleur du désastre. En quelques heures,
nous avions perdu plus de la moitié de nos positions. Certes, nous étions à
l’abri de la formidable enceinte défendant la ville elle-même et la citadelle
de la Byrsa. Toutefois, nous avions dû abandonner les vergers et les jardins du
faubourg nord dont les produits assuraient une partie non négligeable de notre
ravitaillement. À cela s’ajoutait le fait que j’étais inquiet quant au sort des
miens. Himilké et mes enfants avaient-ils pu s’échapper à temps ? Mon
fidèle aide de camp, Magon, ne tarda pas à me rassurer. Ma famille était en sécurité.
Elle avait pu gagner le bâtiment de l’Amirauté où se trouvait mon quartier
général et y avait été accueillie par Arishat qui, faisant taire ses
ressentiments, l’avait réconfortée et installée dans des appartements ouverts à
la hâte.
En me
rendant au Conseil des Cent Quatre, je pus observer la foule dans les rues
encombrées par des dizaines et des dizaines de réfugiés épuisés de fatigue et
dormant à même le sol. Les visages des passants étaient graves, voire anxieux
et plusieurs femmes avaient les yeux rougis par les larmes de désespoir
qu’elles avaient versées durant la nuit. Nous venions de subir notre première
défaite sérieuse et, déjà, les bruits les plus alarmistes couraient dans la
ville. En traversant le maqom, je fus arrêté par Bodershat, un ancien
conseiller d’Hannon le Rab, qui m’interpella d’un ton rogue :
— Voilà
où nous a menés ton obstination criminelle, Hasdrubal. Les Romains sont aux
portes de notre cité et il n’est pas exclu qu’ils s’en emparent sous peu.
— Tu
déraisonnes. Ils ont pris Mégara mais je prépare déjà une contre-attaque pour
les en déloger. Quant à franchir la formidable enceinte qui nous protège, c’est
une autre question et il se passera de longs mois avant qu’ils ne puissent le
faire si toutefois, ce dont je doute, nos dieux nous abandonnent.
— Comment
pourrions-nous te faire confiance ? Tu nous dis que nul ne pourra
escalader la muraille de Carthage. Je ne demande qu’à te croire mais je n’en
suis pas sûr. Il y a quelques jours de cela, c’était le discours que tu nous
tenais à propos de Mégara et nous savons ce qui s’est passé. Cela devrait nous
inciter à réfléchir. Il est encore temps de trouver un terrain d’entente avec
nos ennemis plutôt que de s’obstiner à poursuivre les hostilités.
— Bodershat,
tu es un vieillard et, par respect pour tes cheveux blancs, je préfère n’avoir
pas entendu les mots que tu viens de prononcer. Si l’un de mes soldats s’était
exprimé de la sorte, je l’aurais fait exécuter sur-le-champ. Sache et fais-le
savoir autour de toi que nous n’accepterons jamais un compromis boiteux avec
les Fils de la Louve.
À peine
introduit auprès de Mutumbaal et de ses conseillers, je leur rapportai les
propos de mon interlocuteur et les suppliai de ne pas les prendre à la
légère :
— Bodershat
a eu la franchise de me dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Les
événements de la nuit dernière ont profondément affecté le moral d’une partie
de la population et je redoute que,
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