Hasdrubal, les bûchers de Mégara
vous ne pouvez ignorer que le Sénat, dans son immense sagesse,
avait promis de ne pas détruire vos temples si les habitants de cette cité
acceptaient de la rebâtir à quatre-vingt-cinq stades de la mer.
Leur
criminelle obstination fait que nous nous emparerons de celle-ci bientôt. Dans
la fièvre des combats, je crains que les flammes ne la ravagent tout entière,
n’épargnant pas vos demeures. Je vous demande donc, dieux et déesses de
Carthage, d’abandonner cette ville. Je vous promets que nous ferons construire
à Rome des sanctuaires magnifiques où votre culte sera célébré quotidiennement.
Vous prendrez place parmi notre panthéon comme nous avons accueilli les dieux
et les déesses de nos alliés grecs, italiens et ibères.
Cette
prière, je l’adresse surtout à la noble et bienfaisante Tanit, mère et
protectrice de Carthage, que nous vénérons, nous, sous le nom de Junon.
Ô grande Déesse, je t’ai vue en songe et tu as bien voulu m’accorder tes
bénédictions. C’est sous ta protection que je place mon armée et je te remercie
à l’avance des faveurs que tu nous accorderas.
Quant à
vous Puniques, qui m’écoutez du haut de votre enceinte, tremblez et méditez mes
paroles. Vos dieux, courroucés par les actes impies dont vous vous êtes rendus
coupables, ont décidé de vous punir. Vous aurez beau leur offrir de l’encens et
des animaux, voire vos propres enfants comme il est d’usage dans votre peuple
barbare, ce sera en vain. Ils ont déserté vos sanctuaires pour venir se placer
sous notre protection.
Des huées
et des cris de désespoir accueillirent sa harangue. Aussitôt, je fis convoquer
mon vieux maître, Himilkat, grand prêtre de Baal Eshmoun, pour lui demander
d’organiser une veillée de prières dans son temple situé tout en haut de la
colline sacrée de Byrsa, à laquelle assisteraient tous les membres du Conseil
des Cent Quatre. Il exécuta mes ordres et, le soir même, nos magistrats, suivis
par une foule nombreuse, gravirent l’escalier monumental donnant accès au
sanctuaire. Jamais je ne vis un peuple prier avec autant de ferveur les
puissances supérieures dont dépendait notre salut. Alors que tous se
recueillaient et faisaient entendre leurs supplications, un violent orage
éclata et un éclair s’abattit sur le toit du temple, l’endommageant gravement.
Himilkat eut beau tenter de rassurer les fidèles en leur expliquant que Baal
Eshmoun manifestait ainsi sa colère contre le discours de Scipion Aemilianus,
beaucoup en conclurent que ce dieu les avait abandonnés et regagnèrent leurs
maisons pour enfouir leurs maigres trésors et construire des caches en
prévision de l’assaut final.
***
Plusieurs
mois s’écoulèrent avant que les Fils de la Louve ne passent à l’attaque. Dans
les rues de Carthage, la tension montait de jour en jour. Des femmes enceintes
eurent recours à des matrones expertes en certaines herbes médicinales pour
perdre l’enfant qu’elles attendaient, sachant que ce dernier, s’il voyait le
jour, serait égorgé par des soudards ou réduit en esclavage. À plusieurs
reprises, les gardes interceptèrent des fuyards tentant de gagner la haute mer
à bord de frêles embarcations ou de glisser le long de l’enceinte au moyen de
cordages plus ou moins solides. Un matin, la bataille décisive s’engagea.
Profitant de l’obscurité, Scipion avait fait abattre le mur de brique élevé
jadis à l’extrémité de la Taenia d’où ses archers infligeaient des pertes
terribles à nos défenseurs. Les nouvelles machines de guerre qu’il avait fait
venir d’Utique ouvrirent trois brèches énormes dans la muraille défendant l’accès
au port marchand. Pour gêner sa progression, je fis incendier tous les navires
qui s’y trouvaient et les quais où accostaient jadis les bateaux qui avaient
fait la fortune de notre cité. Pendant toute la journée, un véritable mur de
flammes empêcha la progression de ses troupes.
Alors que
j’étais occupé à surveiller ces opérations, l’un de ses adjoints, Laelius,
s’approcha avec des navires de la partie de l’enceinte défendant l’accès du
cothôn, le port militaire. Au prix de pertes nombreuses, il fit débarquer
plusieurs milliers d’hommes qui parvinrent à escalader la muraille et à se
rendre maîtres des lieux. Avec mon état-major et ma famille, je dus évacuer les
bâtiments de l’Amirauté et gagner la ville même où la panique commençait à
régner. Par
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