Hasdrubal, les bûchers de Mégara
les cris des mourants remplissaient les Fils de la
Louve d’une fureur qui leur faisait oublier le moindre sentiment d’humanité.
Quand
l’armée romaine eut terminé de déblayer les détritus, elle observa une trêve de
huit jours. Les soldats fouillèrent les décombres à la recherche des trésors
qu’avaient enfouis mes malheureux compatriotes. Chaque fois qu’ils découvraient
quelques pièces d’or ou des bijoux, ils poussaient des cris joyeux. Le soir,
ils jouaient aux dés les richesses dont ils s’étaient emparés, chaque partie se
terminant par des rixes furieuses auxquelles les centurions avaient bien du mal
à mettre un terme.
Scipion
Aemilianus, désireux de récompenser la vaillance de ses hommes, les avait en
effet autorisés à s’emparer des biens de la populace. Par contre, il leur
interdit de pénétrer dans les bâtiments du Sénat et du Conseil des Cent Quatre
ainsi que dans les temples et les palais des aristocrates. Les richesses qui
s’y trouvaient appartenaient désormais à Rome et il ne toléra aucune exception
à la règle. Quelques légionnaires, qui avaient fait main basse sur les coffres
remplis d’or des plus riches familles de notre cité, furent exécutés sans
pitié. Certains rescapés, désireux sans doute d’obtenir ainsi leur liberté,
l’avaient renseigné sur les trésors dont regorgeaient nos bâtiments publics. C’est
ainsi que les Fils de la Louve s’emparèrent de la très riche bibliothèque du
Conseil des Cent Quatre où étaient conservés plus de quatre-vingt mille
manuscrits et les archives de la ville depuis des temps immémoriaux. Les
secondes furent soigneusement triées et expédiées à Rome. Quant aux premiers,
le consul les partagea entre Gulussa, ses frères et nos compatriotes d’Utique
et d’Hadrim, sauvant ainsi de la destruction les écrits de nos poètes, de nos
penseurs et de nos agronomes.
***
Avec plus
de cinquante mille habitants de notre cité, je m’étais réfugié dans la
citadelle de Byrsa. J’avais eu la joie de retrouver tous les miens, Himilké et
nos enfants, ainsi qu’Arishat. Seul manquait à l’appel Mutumbaal. Je ne savais
pas s’il avait été fait prisonnier ou s’il avait été tué. Un soir, Magon
m’apprit la douloureuse vérité qu’il tenait d’un des gardes du Conseil des Cent
Quatre qui avait réussi à s’enfuir et à gagner nos positions. Mon père était
resté à l’intérieur du bâtiment du Sénat tandis que les légions romaines y
pénétraient. Alors que ses collègues se prosternaient aux pieds de l’ennemi,
priant qu’on les épargnât et certains n’hésitant pas à proclamer qu’ils avaient
toujours été partisans de la paix avec la cité de Romulus, lui, assis sur le siège
d’or massif qui lui était réservé, avait fait face aux intrus, les défiant et
les insultant, avant de tomber, percé de plusieurs flèches.
Impressionné
par son courage, Scipion Aemilianus avait ordonné qu’on lui fît des funérailles
solennelles, en présence de tous ses collègues auxquels il reprocha leur
lâcheté et leur hypocrisie et qu’il fit exécuter sans le moindre remords. La
nouvelle de la mort de Mutumbaal ne m’attrista pas. Lui qui avait dirigé la
ville la plus puissante d’Afrique n’aurait pas eu la force de survivre à la
destruction de sa cité et de finir ses jours en captivité. Bien plus, je le
réalise maintenant, sa disparition me délivra d’un grand poids. Désormais, je
pouvais agir à ma guise sans avoir à redouter son jugement. Pour la première fois
de ma vie, j’étais enfin libre, ce qui ne fut pas sans influencer sur la suite
des événements.
Quand les
combats reprirent, ils tournèrent rapidement à notre désavantage. Les
catapultes eurent vite raison des murailles de la citadelle et nous dûmes l’évacuer
à la hâte pour nous jeter dans le temple d’Eshmoun, situé tout en haut de la
colline de la Byrsa et auquel on accédait par un escalier de soixante marches
facilement défendable. Avec Magon et les officiers de mon état-major, nous
tînmes une réunion pour discuter de la conduite à adopter. Le sanctuaire où
nous nous étions réfugiés était quasiment inexpugnable à condition que l’action
de nos soldats ne fût pas entravée par la présence des civils qui nous avaient
suivis et qui étaient autant de bouches inutiles à nourrir.
Si ces
derniers le quittaient, nous pourrions tenir plusieurs mois et obtenir de
l’adversaire des
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