Hasdrubal, les bûchers de Mégara
annoncèrent l’arrivée inopinée de sa première légion,
revenue précipitamment rejoindre le gros de l’armée romaine et ils taillèrent
en pièces nos fantassins et nos cavaliers commandés par Diogène. Ce dernier eut
beaucoup de mal à regrouper ses hommes et à se replier derrière les murailles
de Nepheris où rien n’était prêt pour lui permettre de soutenir un long siège.
La ville manquait de réserves de nourriture et les Fils de la Louve coupèrent
l’aqueduc qui la ravitaillait en eau.
Pris au
piège, mon adjoint opposa une résistance désespérée pendant vingt-deux jours.
Quand les machines de guerre de son adversaire eurent mis à bas la muraille, il
se réfugia avec une centaine d’hommes dans la citadelle, observant du haut des
murs les Fils de la Louve piller et incendier les maisons et passer au fil de
l’épée aussi bien les défenseurs qui n’avaient pu le rejoindre que les civils,
en dépit des supplications de ces derniers. A plusieurs reprises, Scipion
Aemilianus proposa à Diogène de capituler avec les honneurs de la guerre mais
celui-ci, redoutant de finir ses jours en captivité, préféra se suicider, imité
par tous ses compagnons d’infortune.
Dès
qu’elle fut connue, la chute de Nepheris provoqua la reddition des dernières
cités qui nous demeuraient fidèles, en particulier Aspis et Hippo Dhiarrytus.
Elles avaient vaillamment combattu à nos côtés mais le parti de la paix releva
la tête et convainquit les magistrats que toute résistance était désormais
inutile. Le consul se conduisit en fin politique : il garantit aux
habitants la vie sauve et la disposition de leurs biens et étendit ces mesures
à leurs défenseurs à condition que ceux-ci s’engagent par serment à ne pas reprendre
les armes contre Rome jusqu’à la fin de la campagne. Ces défections nous
portèrent un coup grave. Nous étions désormais seuls, tragiquement seuls, et
des débats agités se déroulèrent au Conseil des Cent Quatre pour déterminer la
conduite à adopter. Je dus alors révéler à nos sénateurs la teneur de
l’entretien que j’avais eu avec Gulussa. Quoi que nous fassions, les Fils de la
Louve étaient décidés à raser Carthage et à se venger sur les civils de
l’exécution de leurs prisonniers. Nous n’avions donc plus comme solution que de
nous battre jusqu’à la mort, en espérant que la bienfaisante Tanit accomplirait
un miracle en notre faveur.
Scipion
Aemilianus l’apprit car il organisa alors une cérémonie qui nous glaça tous
d’effroi. Il me fit demander une trêve de deux jours afin de pouvoir préparer
une cérémonie religieuse. Je pensai qu’il voulait honorer la mémoire de ses
morts et j’eus la faiblesse de céder à sa requête. Au deuxième jour de
l’interruption provisoire des combats, le consul fit rassembler toute son armée
à faible distance de la porte de Mégara. Des autels improvisés avaient été
installés à la faveur de la nuit et étaient entourés par les statues de nos
dieux enlevées aux sanctuaires érigés jadis dans ce faubourg. Accompagné de ses
principaux officiers et de prêtres, tant romains que carthaginois – à
ces derniers, il avait accordé la liberté pour prix de leur participation aux
prières qui allaient se dérouler –, il sacrifia des centaines d’animaux en
l’honneur de toutes les divinités de Rome et de notre cité. Puis, faisant face
à notre enceinte sur laquelle la foule s’était portée en masse, il prononça un
long discours d’une voix assez forte pour que nous puissions tous écouter ses
paroles :
— Dieux
de Carthage, en cette journée de prière et de recueillement, moi, Publius
Cornélius Scipion Aemilianus, petit-fils adoptif de Scipion l’Africain et
descendant du vaillant Paul Emile, qui trouva une mort glorieuse à Cannae, je
proclame hautement que je vous respecte et vous vénère au même titre que Jupiter
Capitolin, que Junon ou que Mars. Je connais votre formidable puissance et je
sais que vous êtes venus plusieurs fois au secours de cette cité lorsque
celle-ci était dirigée par des hommes de bien et de valeur. Sachez que vous
n’avez rien à craindre de nous qui sommes vos fils aimants et obéissants. A
Utique, à Hadrim, à Aspis et à Hippo Dhiarrytus, je me suis recueilli dans vos
sanctuaires et leur ai offert des dons généreux afin que leurs desservants
continuent à vous honorer comme vous le méritez. J’aurais aimé faire de même à
Carthage et
Weitere Kostenlose Bücher