Hasdrubal, les bûchers de Mégara
accusés d’abandonner les mœurs austères de notre cité. Nous
sommes quelques-uns à nous souvenir que tu fis chasser de cette enceinte le
malheureux consul Manlius parce que ce dernier avait eu l’audace d’embrasser sa
femme en public.
— Tu
sais très bien que ce type de frivolité est indigne des descendants de Romulus
et doit être sanctionné !
— La
belle affaire ! fit en riant un sénateur. Oserais-tu prétendre que tu n’as
jamais agi de la sorte avec ton épouse ?
— Jamais
en public et, s’il m’arrive de l’embrasser, à l’abri des regards indiscrets,
c’est uniquement quand le tonnerre gronde et réveille en moi certaines frayeurs
enfantines. Voilà la raison pour laquelle le mauvais temps me met toujours de
bonne, de très bonne humeur.
— Nous
nous égarons, remarqua d’un ton acerbe Publius Cornélius Scipion Corculum.
Aujourd’hui, je puis te le dire, tu as eu raison de ma légendaire patience.
J’en ai assez de tes vaines divagations et de tes appels répétés à la guerre.
Jusque-là, je ne savais que faire pour t’empêcher de nuire. Les dieux ont
écouté mes prières et sont venus à mon secours. Grâce à eux, je suis en mesure
maintenant de te clouer définitivement le bec. Illustres Pères conscrits, vous
le savez, Cnaeus Marcellus Rufus est de retour d’Afrique depuis plus d’un mois.
Nous l’avions envoyé là-bas avec d’autres sénateurs pour y enquêter sur la
situation. Jusqu’à présent, nous n’avons pu prendre connaissance de son
rapport. Il est temps de le faire avant que nous ne recevions la délégation
carthaginoise. Il vous confirmera les bonnes dispositions d’Hannon le Rab à
notre égard et t’infligera, Marcus Porcius, le plus cinglant des démentis. Qui
s’oppose à son audition ? Personne. Cnaeus Marcellus Rufus, je te cède
donc la parole pour que tu nous rendes compte de ton ambassade.
— Vénérables
membres du Sénat romain, les deux mois que mes compagnons et moi-même venons de
passer de l’autre côté de la grande mer n’ont pas été inutiles. Vous le savez,
Carthage a achevé cette année de payer l’indemnité à laquelle elle avait été
condamnée par Scipion. Avec raison, vous avez considéré que, libérée désormais
de ce fardeau, elle pourrait renouer avec ses traditions guerrières dont nous
eûmes tant à souffrir dans le passé. Vous m’avez donc demandé de m’assurer que
le Conseil des Cent Quatre ne consacrait pas les sommes dont il dispose enfin à
lever une nouvelle armée. Je puis dissiper vos craintes : pareille peur
est sans fondement.
Pour une
simple raison : la race maudite des Barca est éteinte depuis la mort
d’Hannibal et il est fort douteux qu’un nouveau chef militaire surgisse de ce
peuple de marchands. Ses membres sont avant tout soucieux d’accroître les
bénéfices que leur procure le commerce avec l’Orient et l’Occident. Ils n’ont
pas tort car le port marchand ne désemplit pas de bateaux venus décharger ou
charger des cargaisons. J’ai été le premier frappé du nombre de nos négociants
installés dans la cité d’Elissa où ils vendent aussi bien les parfums de Capoue
que les vins de Sicile ou la céramique campanienne.
Nous
pouvons donc nous réjouir : nous avons vaincu militairement Carthage et sa
prospérité économique dépend en partie de ses échanges avec Rome. Si nous
cessions d’acheter son blé et son orge ou si nous interrompions nos envois de
céramique, de vins et de parfums, ses artisans, commerçants et portefaix
seraient réduits à la misère. Aucun d’entre eux n’a envie de faire la guerre à
la ville qui lui fournit de quoi vivre. Si Hannon le Rab et ses amis tentaient
de passer outre, les marchands et la plèbe se révolteraient contre eux. Le
parti de la guerre est très impopulaire et ses dirigeants n’osent pas exprimer
en public leur point de vue. Je puis donc confirmer en tous points l’analyse
faite devant vous par Publius Cornélius Scipion Corculum.
— Je
crains fort que tu ne te fasses beaucoup d’illusions, murmura d’un ton
courroucé Marcus Porcius Caton. Hannon le Rab t’a bercé de belles paroles et tu
l’as cru naïvement. As-tu réellement enquêté ? Mes
informateurs – car moi aussi j’ai prêté grande attention à ton voyage
au point de te faire suivre par mes espions – m’ont rapporté que tu
n’es guère sorti des jardins de sa luxueuse maison pour vérifier le bien-fondé
de ses
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