Hasdrubal, les bûchers de Mégara
je propose donc que nous invitions les
Carthaginois à se présenter devant nous comme convenu. Qui y est
favorable ?
Seul
Marcus Porcius Caton s’opposa à cette requête et les sénateurs décidèrent qu’il
était grand temps de nous faire chercher. Durant tout cet échange de propos
acerbes, j’avais traduit à Azerbaal ce qui se disait afin qu’il puisse, s’il le
souhaitait, modifier en conséquence certains termes de son discours.
***
Nous fûmes
donc introduits dans la salle des délibérations de la curia Hostilia. Notre
délégation se composait d’une dizaine de sénateurs et de moi-même, tous vêtus
de la longue robe punique traditionnelle. Présenté par Cnaeus Marcellus Rufus,
Azerbaal prit la parole d’un ton empreint d’une grande dignité :
— Romains,
nous venons ici réclamer que justice soit faite. La fortune des armes nous a
été défavorable et notre peuple a subi les conséquences de ses erreurs, à
savoir la funeste confiance qu’il avait placée dans la famille Barca. Mon
protecteur, Hannon le grand, aujourd’hui disparu, avait tout fait pour
contrecarrer les ambitions criminelles d’Hannibal et de ses frères mais il ne
fut pas entendu par nos concitoyens. Vous savez, mieux que moi, combien la populace,
lorsqu’elle est abusée par des chefs irresponsables, peut se livrer à des
emportements préjudiciables à la raison. Elle en a payé le prix.
Ces temps
sont heureusement révolus et notre parti n’a cessé de vouloir réparer les
erreurs du passé en exécutant scrupuleusement les clauses du traité conclu avec
Scipion l’Africain, quoi qu’il nous en ait coûté. Depuis cette date, vous
n’avez pas eu d’alliés plus fidèles que nous. Vous chercheriez en vain trace
d’un quelconque manquement à notre parole. Avec les sommes que nous vous avons
versées ponctuellement, vous avez pu édifier des temples et des bâtiments
publics qui font l’orgueil de votre cité. Je ne suis pas venu ici pour demander
une modification du pacte conclu entre nos deux villes et qui, je l’espère,
demeurera éternellement en vigueur. Nous ne demandons pas à récupérer nos
colonies ni nos comptoirs. Non, ce que nous voulons, vénérables Pères
conscrits, c’est la stricte application du texte en question. Or celle-ci pose
des problèmes juridiques quasi insolubles à résoudre.
Votre
allié Masinissa s’est emparé par traîtrise d’une partie des Grandes Plaines et
d’une de nos provinces dont vous nous aviez garanti la possession. Nous aurions
pu alors nous considérer en état de légitime défense et engager les hostilités
contre lui. Mais le traité signé avec vous nous interdit toute opération
militaire dirigée contre l’un de vos alliés sans avoir, au préalable, sollicité
votre accord.
Rassurez-vous,
nous ne voulons pas à tout prix faire la guerre pour obtenir satisfaction. Vous
disposez de moyens de pression suffisants sur le souverain numide pour le
ramener à la raison et l’obliger à accepter une solution pacifique de ce
conflit.
De la
sorte, vous porteriez un coup fatal aux menées de vos adversaires au sein de
notre cité, en leur démontrant que la ville de Romulus, si elle sait se montrer
sévère, peut aussi faire preuve d’équité et de générosité. Faute d’une
intervention de votre part, hypothèse que nous n’osons envisager, nous devrons
en conclure qu’en dépit de nos gestes de bonne volonté vous ne songez qu’à une
chose : réduire notre ville à la misère et la condamner, à plus ou moins
long terme, à disparaître. Si l’on ne veut pas nous accorder réparation du
préjudice subi et si, depuis la conclusion de la paix avec Scipion, vous
estimez avoir à notre encontre des griefs légitimes, dites-le franchement et
nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour dissiper les malentendus.
Mais sachez une chose : nous préférons la mort à une servitude franche ou
déguisée.
— Azerbaal,
fit Cnaeus Marcellus Rufus, je te remercie de ta franchise. Je ne doute pas un
seul instant de la sincérité de tes propos et de la loyauté du Conseil des Cent
Quatre depuis que vous avez chassé de son sein les partisans des Barcides. Nous
avions d’ailleurs si peu de griefs à votre égard que nous avions libéré, bien
avant le versement intégral de l’indemnité de guerre, les otages garants de la
bonne exécution de son paiement. Mais Masinissa est notre allié et nous ne
pouvons malheureusement pas vous
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