Hasdrubal, les bûchers de Mégara
Cornélius Scipion Corculum – apostrophait son collègue d’un
ton désinvolte :
— Marcus
Porcius Caton, je me demandais si tu parviendrais à placer ta sentence préférée
au terme du fastidieux exposé que tu as consacré au projet de réfection du
temple de Jupiter Capitolin. Tu y as réussi en nous expliquant que nous
pourrions financer ces travaux et bien d’autres en nous rendant maîtres des
richesses de la cité d’Elissa. Décidément, tu es habile, très habile. Je t’en
félicite mais tu auras pu constater le médiocre intérêt que tes propos ont
éveillé chez nos collègues. Il serait temps, grand temps pour toi de t’incliner
devant la dure réalité : tu es le seul ici à vouloir à tout prix la
reprise des hostilités avec Carthage.
— Je
suis romain et, tant que je vivrai, je n’aurai de cesse que je n’obtienne
l’anéantissement de notre plus mortel ennemi ! hoqueta de fureur Marcus
Porcius Caton.
— Chacun
essaie de se rajeunir comme il le peut. Toi, tu penses échapper au poids des
années en te comportant comme si tu étais toujours à la tête de nos armées et
comme si Hannibal se trouvait encore sous les murs de Rome. Ce temps-là est
bien révolu et ne reviendra jamais.
— Détrompe-toi,
d’après mes informations, je puis t’assurer que…
— Crois-tu,
fit Publius Cornélius Scipion Corculum, que je vais te permettre de
m’interrompre et te laisser vaticiner à ton aise ? Si je le faisais, tu
serais fort capable de nous raconter par le menu l’histoire des rapports entre
nos deux villes depuis la fondation de notre cité par Romulus et Remus !
Tu oublies simplement une chose : mon illustre parent, Scipion l’Africain,
a résolu cette question il y a de cela cinquante ans en mettant en déroute les
Puniques lors de la bataille de Zama. Le Conseil des Cent Quatre a dû accepter
les conditions que nous lui avons alors imposées pour la conclusion de la
paix : la destruction de sa flotte de guerre et le versement d’une
indemnité de dix mille talents d’argent payables en cinquante annuités. Malgré
cela, aujourd’hui, notre allié le plus fidèle est Hannon le Rab, le chef du
Sénat carthaginois. Lors de la guerre contre Persée de Macédoine, il est venu
spontanément nous offrir son aide. Non seulement il nous a fourni une
cinquantaine de navires de transports mais il nous a, en plus, livré
gratuitement un million de boisseaux de blé et cinq cent mille boisseaux d’orge
pour ravitailler nos légions. Il est venu lui-même dans cette enceinte nous
annoncer cette décision et je me souviens encore de ses paroles pleines de
noblesse : « Nous ne sollicitons aucune amélioration de notre sort.
Nous avons eu le tort d’écouter Hannibal et nous méritons le châtiment qui nous
a été infligé. Ce présent et ce service que nous vous offrons sont loin, sans
doute, de répondre aux bienfaits du peuple romain, mais sont la manifestation
de notre gratitude envers Scipion qui a sauvé de l’anéantissement notre ville.
En d’autres temps, quand la fortune de nos deux peuples était également
prospère, nous avons maintes fois rempli les devoirs de bons et de fidèles
alliés. Nous entendons continuer de le faire afin de dissiper tout malentendu
entre nous. »
Sans cette
aide, dois-je vous le rappeler, nous n’aurions pu venir à bout de la révolte de
Persée de Macédoine qui avait rallié sous ses enseignes toutes les cités
grecques récemment soumises. Nos anciens ennemis ne se sont point contentés de
belles paroles, ils nous ont prouvé par leurs actes qu’ils étaient désormais de
puissants et fidèles amis.
— Je
reconnais bien là, fit Marcus Porcius Caton, la perfidie des Puniques. Ce
peuple est un ramassis de fieffés menteurs et ils cherchent par tous les moyens
à endormir notre méfiance. Je ne comprends pas qu’un homme aussi expérimenté
que toi puisse croire à la sincérité de pareils propos.
— Non
seulement j’y crois, fulmina Publius Cornélius Scipion Corculum, mais je puis
également t’affirmer que le résultat aurait été bien différent si Scipion
l’Africain avait écouté ceux qui lui conseillaient de raser Carthage.
— Est-ce
à moi que tu fais allusion ? J’étais alors présent aux côtés de ton oncle.
— Par
Jupiter Capitolin, je jure bien que non. À l’époque, tu étais infiniment plus
pondéré dans tes jugements sur les Puniques. Tu réservais tes foudres à tes
propres concitoyens
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