Hasdrubal, les bûchers de Mégara
m’attendaient Azerbaal et ses compagnons. Le
beau-frère d’Hannon le Rab m’accueillit plutôt froidement, ce qui ne m’étonna
guère. Il se méfiait de mon père qu’il soupçonnait de continuer à diriger
clandestinement le parti barcide et il lui déplaisait d’avoir à supporter la
présence de son rejeton dont dépendait en partie la réussite de sa mission.
Au début,
il m’adressa à peine la parole. Mais, au matin du troisième jour de notre
voyage, alors que nous venions de dépasser les côtes siciliennes, nous
essuyâmes une forte tempête et, si je ne l’avais pas poussé de force dans sa
cabine, il aurait été emporté par la lame qui balaya le pont du navire. Je ne
suis pas sûr qu’il en eût fait de même pour moi mais ce geste contribua à le
rendre plus affable.
Durant
tout le reste de la traversée, nous ne nous quittâmes guère. Il m’interrogea
longuement sur mon séjour à Oroscopa et sur les stocks d’armes dont nous
disposions. À l’entendre, je compris qu’il était un partisan inconditionnel de
l’alliance avec Rome et qu’il était prêt à multiplier les concessions pour ne
pas envenimer la situation ou mettre dans l’embarras les membres du Sénat. Sans
doute avait-il reçu des consignes en ce sens d’Hannon le Rab mais je savais
celui-ci suffisamment dévoué à sa patrie pour faire preuve de fermeté si la
situation l’exigeait. Son beau-frère me paraissait avoir l’échine souple, trop
souple. J’en conclus, non sans raison, que cette ambassade n’avait pas pour but
de trouver une solution au conflit mais plutôt de sonder l’état d’esprit de nos
vainqueurs. Ce n’est qu’après son retour à Carthage que le Conseil des Cent Quatre
déciderait véritablement de la conduite à adopter et enverrait, si nécessaire,
une autre délégation conclure un accord.
Après six
jours de navigation, notre trirème entra dans le port d’Ostie où Cnaeus
Marcellus Rufus nous attendait. Un tantinet gêné, il nous annonça que nous
devions rester dans cette petite ville jusqu’à ce que le Sénat, prévenu de
notre arrivée, ait délibéré pour savoir si nous pouvions être ou non reçus par
lui. En attendant, il nous était interdit de pénétrer dans l’ager romanus, le
périmètre sacré comprenant Rome et ses environs immédiats. Nous trouvâmes à
nous loger chez des marchands puniques, heureux de rencontrer des compatriotes
et d’obtenir d’eux des nouvelles fraîches de Carthage.
À la nuit
tombée, je fis la tournée des tavernes du port pour écouter les conversations
de leurs clients. En pénétrant dans le premier établissement, j’eus la surprise
d’y retrouver, attablé en joyeuse compagnie, Marcus Lucius Attilius. Il me fit
asseoir à son côté et se montra fort disert :
— Tu le
vois, Hasdrubal, j’ai quitté votre belle cité pour regagner mes foyers. Mon
épouse était furieuse de ma trop longue absence et j’avais amassé plus de
marchandises qu’il n’en faut pour que leur vente fasse de moi un homme riche.
Mais que nous vaut l’honneur de ta visite ? J’espère que tu n’es pas venu
chercher ici des distractions pour te consoler d’une déception sentimentale car
tu déchanterais rapidement. Rome, je te l’ai dit, est une ville austère et ses
femmes sont d’une insupportable pruderie. Tu risques fort de t’ennuyer si tu
prolonges par trop ton séjour.
— Je
suis ici en mission officielle. J’accompagne l’ambassade conduite par Azerbaal
venue protester contre les agissements des Numides envers nous.
— Je
suis au courant de cette affaire et j’ai eu l’occasion – on te l’a
peut-être rapporté – de m’en entretenir avec Cnaeus Marcellus Rufus.
Je suis persuadé que celui-ci plaidera votre cause auprès de ses collègues même
si ce vieil imbécile de Marcus Porcius Caton profite de l’occasion pour
vaticiner comme à son habitude. Par chance, il est actuellement en minorité au
sein du Sénat où l’homme le plus écouté est Publius Cornélius Scipion Corculum,
un parent de Scipion l’Africain. Or les Scipions, pour des raisons qui me
demeurent étrangères, ont toujours été favorablement disposés envers Carthage
et chacun, ici, se souvient de l’estime que portait à Hannibal le vainqueur de
Zama. On murmure même qu’il l’aurait prévenu de l’arrivée prochaine d’une
délégation venue exiger de Prusias sa livraison et qu’il lui aurait fourni le
poison lui permettant
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