Hasdrubal, les bûchers de Mégara
j’ai pensé que je serais le dignitaire le plus
qualifié pour le recevoir. J’ai changé d’avis. Me sachant membre du parti de la
paix, il en conclurait que nous cherchons à le berner en lui présentant
uniquement les amis de Rome. Il est préférable de confier cette mission à
Hasdrubal. Ses espions ont dû le renseigner à son sujet et lui apprendre que
notre jeune ami était favorable à l’emploi de la force contre Masinissa. Ce
choix lui prouvera qu’en dépit de leurs désaccords les Carthaginois parlent
d’une même voix. Nous lui montrerons que nous avons si peu de choses à cacher
que nous confions une tâche aussi délicate à l’un des représentants du parti de
la guerre.
— Azerbaal,
l’interrompit sèchement Mutumbaal, je ne puis te laisser parler de la sorte.
Certes, mon fils a la fougue de la jeunesse et, lors de l’entrée des Numides
sur notre territoire, il s’est laissé emporter au point de prendre une
initiative regrettable pour laquelle Hannon et moi l’avons tancé. Mais c’est un
officier loyal et intègre. Tu as pu toi-même constater qu’il a scrupuleusement
obéi aux ordres reçus et calqué ses propos et ses gestes sur les tiens. Dois-je
conclure qu’en formulant cette proposition dans les termes que tu as utilisés,
tu ajoutes foi aux rumeurs qui courent sur mon compte ? L’on m’accuse
d’être le chef du parti barcide alors que ce dernier n’existe plus. Ton
beau-frère peut en témoigner, je l’ai toujours secondé de mes sages conseils et
je ne me suis jamais opposé à la politique de paix qu’il préconise.
M’accuses-tu d’être parjure ou de jouer double jeu ? Quant à mon fils, je
réponds de lui. Il sait trop dans quel état se trouve notre armée et il ne lui
viendrait pas à l’idée de provoquer le courroux de notre visiteur.
— Loin
de moi cette idée fit Azerbaal, approuvé d’un hochement de tête par Hannon le
Rab. Je ne doute pas un seul instant de votre loyauté à tous deux. Toutefois,
Marcus Porcius Caton est un Romain. Ce fut, dans sa jeunesse, un militaire
expérimenté et il est persuadé que tous les jeunes gens, qu’ils soient citoyens
de sa cité, grecs ou carthaginois, ne rêvent que d’une chose : mourir sur
le champ de bataille pour défendre l’indépendance de leur patrie ou accroître
ses domaines. Hasdrubal, à ses yeux, fait partie de cette espèce et il n’aura
de cesse qu’il ne le prenne en défaut. Or ton fils, Mutumbaal, ainsi que tu
l’as justement noté, est le premier à savoir que, dans les circonstances
présentes, Carthage n’a pas les moyens de déclarer la guerre aux Fils de la
Louve et j’espère qu’il saura faire quelques confidences amères à ce sujet à ce
vieux grigou. Elles auront plus de poids que si elles émanaient de vieillards
comme nous, habitués à ruser et à mentir. Voilà pourquoi il nous faut confier
cette mission à ce jouvenceau.
— Ne
crains-tu pas, fit mon père, que les espions de Marcus Porcius Caton l’aient
aussi informé qu’il a pour ami un Romain proche de Publius Cornélius Scipion
Corculum, son principal rival ? Ne serait-il pas plus avisé de trouver
dans nos rangs un sénateur ou un magistrat admirateur de Caton ?
— Crois-tu
que ce dernier serait dupe de ce médiocre stratagème ? Peut-il exister
dans notre cité un être assez fou pour se proclamer l’ami de celui qui termine toujours
ses discours par la phrase : « Je vous le dis et le redis, illustres
Pères conscrits, Carthage doit être détruite ! » Non, la sagesse
commande que Hasdrubal soit chargé de recevoir ce maudit ambassadeur et de
l’accompagner dans tous ses déplacements.
Hannon le
Rab et mon père se rallièrent à cette suggestion et je dus déployer des trésors
d’ingéniosité pour réserver le meilleur accueil possible à notre ennemi.
Sachant qu’il refuserait d’être hébergé chez l’un d’entre nous, je le fis loger
chez un prospère marchand romain de céramiques, un nommé Septimus Aurélius
Rufus qu’on savait être d’une avarice sordide en dépit de ses richesses
considérables. Sa demeure était meublée sommairement et il se nourrissait la
plupart du temps d’un maigre brouet et d’eau claire, le repas favori de Marcus
Porcius Caton. Toutefois, parce qu’il devait sa fortune au commerce avec notre
ville, j’étais sûr qu’il expliquerait à son illustre invité qu’une guerre entre
Carthage et Rome serait préjudiciable aux intérêts de
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