Hasdrubal, les bûchers de Mégara
lendemain, dès les premières
lueurs de l’aube, la foule arriva par petits groupes compacts sur le maqom.
Hommes, femmes et enfants, tout le petit peuple de la cité d’Elissa semblait
s’être donné rendez-vous en ce lieu. Les visages étaient graves et certains
étaient venus armés de lances ou de lourdes masses, ce qui en disait long sur
leurs intentions. Lorsque les réfugiés, victimes de la barbarie des Numides,
arrivèrent de leur campement provisoire de Mégara, une formidable ovation
s’éleva de la foule désireuse de leur manifester sa solidarité.
Les
membres du Conseil des Cent Quatre eurent du mal à se frayer un passage pour
gagner le bâtiment du Sénat où devaient se tenir leurs délibérations. Arrivé le
dernier, Hannon le Rab ouvrit la séance. D’une voix forte et assurée, il
s’adressa à ses collègues :
— Illustres
membres du Conseil, vous savez que j’ai toujours été favorable à la paix et que
j’ai combattu tous ceux qui voulaient nous lancer dans les entreprises funestes
dont les Barcides furent les initiateurs. L’odieuse agression dont ont été
victimes nos concitoyens d’une bourgade éloignée doit être condamnée avec la
plus grande vigueur et des ambassadeurs munis d’instructions très précises sont
déjà partis pour Cirta afin de rencontrer Masinissa et d’exiger de lui le
châtiment des coupables. De la réponse qui leur sera apportée dépendra
l’attitude que nous adopterons. Je n’exclus aucune hypothèse et j’ose espérer
que le souverain numide agira en monarque avisé.
— Tu
as eu tort d’envoyer cette délégation sans nous consulter au préalable, fit
Itherbaal, le chef de la faction pro-numide. Il aurait mieux valu mener une
enquête approfondie sur cet incident avant d’entreprendre une démarche aussi
impudente. De la sorte, tu désignes Masinissa comme le coupable alors que
d’autres hypothèses peuvent être envisagées. Honorables membres du grand
Conseil, vous le savez, les habitants de ces régions sont de nature
belliqueuse, qu’ils soient numides ou puniques. Dans le passé, il est arrivé à
de fréquentes reprises que nos concitoyens, rebelles à l’autorité de nos
magistrats, mènent des opérations chez les Massyles ou les Masaesyles pour
s’emparer de leurs troupeaux et de leurs récoltes. Qui vous permet d’affirmer
que l’attaque en question n’est pas un acte de représailles des Numides destiné
à venger une expédition criminelle fomentée par nos compatriotes et dont nous
n’aurions pas eu vent ? Avant d’accuser autrui, demandons-nous qui sont
les vrais coupables car je nourris certains soupçons sur les inspirateurs réels
de cet acte abominable. Malheureusement, je ne puis en apporter la preuve
devant vous pour le moment.
Ces
paroles suscitèrent dans l’Assemblée une véritable explosion de colère.
Plusieurs sénateurs quittèrent leurs places pour se diriger vers Itherbaal et
ses partisans avec des intentions qui n’avaient rien d’amical. On entendait des
cris fuser de partout :
— Malheur
à ceux qui se réjouissent de la ruine de nos compatriotes !
— Mort
aux traîtres ! Ils ne sont pas dignes du nom de Carthaginois. Livrons-les
au peuple afin que ceux-ci les massacrent sans pitié !
— Puisse
Baal Hammon réduire en cendres tous ceux qui vous soutiennent. Vous êtes pires
que des chiens car ceux-ci se révoltent parfois contre leur maître lorsqu’ils
les maltraitent. Vous, vous préférez sacrifier les vôtres parce que le roi
d’une tribu de sauvages dépenaillés consent parfois à vous gratifier d’un
sourire.
D’un geste
de la main, Hannon le Rab signifia aux protestataires de regagner leurs places
et de faire silence. Puis, pointant un doigt menaçant vers Itherbaal, il
fulmina :
— Même
Hannibal Barca, qui causa tant de mal à notre cité, n’a jamais préféré les
intérêts d’un étranger à ceux de ses frères de sang. Itherbaal, ta conduite est
inqualifiable et j’observe avec tristesse qu’aucun de tes partisans n’a eu le
courage et la lucidité de s’opposer à ton funeste comportement. Ce serait
négliger les intérêts vitaux de notre patrie que de laisser un tel crime
impuni. Aussi, en ma qualité de principal magistrat de Carthage, je propose que
toi et les tiens soyez bannis à tout jamais de cette ville et que vos biens
soient confisqués afin que le produit de leur vente serve à soulager les
souffrances des réfugiés et des
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