Hasdrubal, les bûchers de Mégara
en tous points cette analyse. En quelques mois, les
Romains avaient gaspillé tous les atouts dont ils disposaient à leur arrivée,
notamment après nous avoir obligés à leur livrer par traîtrise nos armes et nos
machines de guerre. Ils étaient si peu certains de la suite des opérations que
plusieurs Pères conscrits suggérèrent le départ immédiat pour Carthage d’une
délégation chargée de connaître les conditions que nous poserions pour l’arrêt
des hostilités. Cette proposition fut repoussée d’extrême justesse. Marcius
Censorinus parvint en effet à convaincre ses collègues que pareille décision
était prématurée. Rome disposait sur place d’alliés, les Numides, demeurés
jusque-là dans une prudente expectative. Il convenait de leur rappeler les
devoirs qui étaient les leurs et d’exiger d’eux des secours en hommes.
Une
délégation quitta Ostie pour Cirta. Quand elle arriva, Masinissa avait rendu
l’âme et était déjà enterré dans la modeste nécropole royale située en dehors
de la ville. Les sénateurs eurent la surprise de constater que sa succession
avait déjà été réglée par le jeune Publius Cornélius Scipion Aemilianus,
désigné par le vieux monarque comme son exécuteur testamentaire. Il avait fait
preuve de réels talents de diplomate pour prévenir toute querelle entre les
trois fils du défunt. Chacun d’entre eux avait reçu le titre de roi mais des
fonctions différentes. Gulussa avait obtenu le commandement de l’armée, Micipsa
la justice et Mastanabal, le plus cupide, l’administration du pays,
c’est-à-dire la levée des impôts et des taxes. En confiant à Gulussa l’armée,
le jeune Romain avait vu juste. Autant ses frères paraissaient décidés à ne pas
sortir de la prudente neutralité qu’ils observaient depuis le début du conflit,
autant leur cadet avait des comptes à régler avec Carthage ou plus exactement
avec moi qui lui avais ravi sa maîtresse.
Celle-ci
fut d’ailleurs à l’origine d’une nouvelle catastrophe. Je l’ai déjà raconté,
Phaméas était tombé amoureux d’elle et j’avais dû tempérer ses ardeurs. Or
Arishat était infiniment plus frivole que je ne pouvais l’imaginer. Elle
m’aimait, j’en étais sûr, mais prenait plaisir à voir les hommes se presser
autour d’elle et lui faire une cour assidue. Elle leur faisait des avances
inconsidérées et tardait à repousser leurs propositions. De sa part, c’était un
jeu qui la consolait sans doute de la solitude amère dans laquelle elle avait
passé sa jeunesse et je ne pouvais lui en vouloir. Restait qu’elle compliquait
singulièrement ma tâche par son comportement et j’eus l’occasion de m’en
apercevoir quand, en dépit de mes recommandations, elle continua à poursuivre
de ses assiduités mon adjoint. Ce dernier crut son heure arrivée et, informé par
mes serviteurs, de ses fréquentes visites dans mes quartiers en mon absence,
j’eus avec lui une explication orageuse :
— Phaméas,
tu es le meilleur de mes officiers et j’admire tes faits d’armes. Tu as, à
plusieurs reprises, infligé de cinglantes défaites aux Romains et ton nom seul
provoque la panique dans leurs rangs. J’ai demandé au Conseil des Cent Quatre
de t’octroyer une généreuse gratification. Sache que je ferai tout mon possible
pour que tu reçoives le titre de commandant en chef de notre cavalerie car tu
le mérites amplement. Toutefois, cela suppose que nous puissions travailler de
concert sans que rien trouble notre collaboration. Or, je dois te l’avouer, je
n’apprécie pas ton comportement envers celle qui partage ma couche, Arishat.
— Je
l’aime et je crois que je ne lui suis pas indifférent. Tu devrais te rendre à
l’évidence même si cela blesse ton orgueil.
— Tu
n’as pas été sans remarquer qu’elle fait aussi les yeux doux aux autres
officiers. C’est une femme et elle a tous les défauts de son sexe. Pourtant, ne
te fais aucune illusion. Nos destins sont liés pour toujours et tu risques
d’être cruellement déçu quand elle te repoussera. C’est pour t’éviter pareille
humiliation que je t’interdis de la revoir.
— Est-ce
l’individu Hasdrubal qui parle ou mon supérieur hiérarchique ?
— Les
deux et j’entends bien être obéi. S’il le fallait, et je ne le souhaite pas, je
n’hésiterais pas à prendre des mesures drastiques et à t’éloigner de Nepheris
pour te faire affecter à la garnison de
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