Haute-savane
Tim. Un grand homme à sa façon qui a fait partie, avec Thomas Jefferson, de la commission chargée de rédiger la Déclaration d’Indépendance. C’est un ancien avocat et il est très éloquent… mais je crois qu’il n’aime guère les Français.
— Je l’avais deviné. Que fait-il à Londres à présent ?
— Il y occupe le poste d’ambassadeur, ce qui lui allait comme un gant car il gardait de grandes sympathies à la cour de Saint-James. Mais j’ai l’impression qu’à présent il n’aime pas plus les Anglais que les Français…
— Que vient-il faire alors ?
— Je ne sais pas, fit Tim en se détournant pour lancer un caillou à l’un des chiens qui venait de reparaître.
Il s’éloigna même de quelques pas et Gilles comprit qu’il n’avait pas envie d’être plus longuement questionné.
Sa curiosité allait d’ailleurs se trouver rapidement satisfaite à l’issue du dîner qui fut servi, comme d’habitude, à trois heures. Cette fois, une douzaine de personnes avaient pris place autour de la table familiale et firent honneur au repas, simple mais abondant, composé en grande partie de poisson et de légumes. Après le dessert où l’on servit, avec les noix habituelles, des confitures de fraises faites par Martha Washington, le général, après avoir levé courtoisement son verre de madère à la santé du roi de France, allié et ami de l’Amérique, porta un autre toast.
— Mes amis, c’est à la nouvelle Constitution des États-Unis que je veux boire à présent. Après en avoir mûrement réfléchi et sur les instances de mon ami John Adams ici présent, j’ai décidé d’abandonner de nouveau ma retraite champêtre et d’accepter de diriger la délégation de Virginie à la Convention fédérale qui va se réunir sous peu à Philadelphie afin d’essayer, par tous les moyens, de sauvegarder l’Union. Puisse cette Convention adopter des propositions dignes d’un grand pays libre et trouver dans le peuple une disposition capable d’assurer le bonheur et la dignité des États-Unis !
Une ovation salua ces nobles paroles et tous les assistants se levèrent pour s’associer au toast. Alors, la voix profonde de John Adams se fit entendre par-dessus le tumulte des voix comme le bourdon d’une cathédrale domine les carillons des petites églises.
— Puisse la Convention faire de George Washington le premier président des États-Unis d’Amérique !
Cette fois, ce fut du délire et la timide protestation de l’intéressé disparut dans le tumulte de l’enthousiasme. Un enthousiasme auquel Gilles se joignit sans la moindre arrière-pensée. Que pouvait-il arriver de mieux pour les relations franco-américaines à venir, pour le paiement des créances françaises et même pour Gilles lui-même puisqu’il était en Amérique pour y rester, que de voir George Washington, ce grand honnête homme, ce soldat, cet homme d’État atteindre à la magistrature suprême ?
Ce fut à Martha qu’il confia son sentiment :
— Je souhaite de tout mon cœur, madame, que vous deveniez prochainement la première dame de ce pays. Pour ma propre épouse comme pour toutes les autres femmes d’Amérique, il ne saurait y avoir meilleur ou plus aimable exemple à suivre.
Elle lui sourit gentiment.
— Êtes-vous donc marié, chevalier ? En ce cas qu’avez-vous fait de Mme de Tournemine ? Elle vous attend en France, j’imagine ?
— Non. Elle est à New York où j’ai loué une maison. Sa santé n’est pas des meilleures et la mer l’a beaucoup éprouvée.
John Adams eut un petit rire désagréable.
— Les Françaises sont-elles donc saisies à leur tour par le démon de l’aventure pour suivre ainsi leurs époux à travers les océans ?
— Les Françaises, monsieur l’ambassadeur, ont coutume de suivre le sort de leurs époux et de se fixer là où il leur plaît de les conduire. Vous l’ignorez sans doute mais je suis venu ici pour y demeurer. Le Congrès des États-Unis, à la demande du général Washington, a bien voulu m’accorder une concession de mille acres de terres cultivables le long de la Roanoke River et mon intention est d’y construire une demeure pour y vivre avec ma famille.
L’ambassadeur leva un sourcil à la fois surpris et ironique.
— La Roanoke River ? Vraiment ?… Vous m’étonnez fort…
— Je ne vois pas pourquoi.
— Parce que ces terres, qui jusqu’à la révolution relevaient de la Couronne
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