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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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Gilles rejoignit son refuge habituel, la chambre des cartes, et s’y plongea dans l’un des livres qu’il y avait entassés. C’était L’Art de l’indigotier par Beauvais-Raseau, qu’un libraire de New York avait réussi à lui procurer, et il s’efforça de concentrer son esprit sur les modalités de culture de l’herbe bleue qu’il étudiait assidûment depuis le départ. Mais sans le moindre succès. Les périodes de plantation, les modes d’irrigation, les maladies qui pouvaient atteindre la précieuse plante avaient momentanément perdu leur intérêt. Le retour tellement inattendu de Fanchon le tourmentait plus qu’il ne voulait l’admettre et plus encore peut-être l’attachement de Judith à ce souvenir vivant d’un autrefois détestable.
    Il fut presque heureux du brusque coup de vent qui, couchant le navire, renversant son encrier en jetant à terre livres et papiers, lui fournit un prétexte valable pour interrompre son travail. En effet, le Gerfaut venait de rencontrer un nouveau grain et plongeait dedans. Quittant le réduit des cartes, Gilles enfila un caban de toile cirée et alla rejoindre le capitaine Malavoine sur la dunette.
    Bien peu de temps s’était écoulé depuis qu’il était descendu, pourtant le ciel, si bleu encore tout à l’heure, était à présent d’un vilain gris fer en raison d’énormes nuages courant follement d’un bout à l’autre de l’horizon. Le navire traçait sa route à travers de profondes vagues couleur de mercure crêtées d’écume blanche où plongeaient spasmodiquement son beaupré et l’élégante figure de proue aux ailes déployées cependant que, dans les vergues, l’équipage aux pieds nus exécutait de prodigieux numéros de funambules pour carguer les voiles.
    Gilles fonça dans la violence du vent, le laissant balayer les vagues fumées de son cerveau et jouissant pleinement de la tempête comme il en avait joui si souvent au temps de son enfance avec la belle inconscience de l’extrême jeunesse. Le bateau semblait seul au milieu de cette bouillonnante immensité marine fouaillée par l’ouragan, seul parmi les hauts paquets d’écume qui s’abattaient sur lui et paraissaient constamment sur le point de l’engloutir mais Gilles n’éprouvait pas la moindre frayeur. Il pouvait tourner le dos à ces grandes déferlantes qui suivaient le Gerfaut avec la calme certitude qu’il leur résisterait.
    Et puis, dominant le fracas des lames et les hurlements du vent, il y avait les mugissements du capitaine Malavoine. Arrimé à sa dunette de ses deux larges pieds, un porte-voix rivé à ses lèvres violacées, le vieux loup de mer semblait régner sur les éléments déchaînés, semblable à quelque Neptune rouquin.
    Quand Gilles atterrit auprès de lui, il lui dédia un large sourire satisfait d’où le chevalier conclut que le marin, sûr de son bateau, jouissait au moins autant que lui de ce coup de tabac.
    — Tout à l’heure c’était le coup de semonce, lança-t-il. Maintenant on est en plein dedans. L’ennui, c’est qu’on va perdre du temps : le vent nous détourne.
    — Rien ne nous presse, capitaine. J’espère seulement que les dames supportent bien la chose.
    — Elles sont bretonnes, monsieur. Ce sont des filles de la mer. Quant à la Parisienne, je lui ai donné assez d’opium pour qu’elle ne se réveille pas avant quelques heures, même si le plafond de la cabine devait lui tomber dessus. D’ailleurs, cette période ne devrait pas durer.
    — Jusqu’à quand, à votre avis ?
    Malavoine haussa les épaules.
    — Demain matin au plus tard. Sous les Tropiques les tempêtes sont violentes mais relativement courtes.
    Avant l’aube, en effet, le vent tomba, la mer se calma et quand les premières lueurs éclairèrent l’immensité atlantique elle apparut comme un lac infini, lisse et brillant comme un satin couleur aile de pigeon. Le souffle de brise était si faible que, portant toute sa toile, le Gerfaut n’avançait qu’à très faible allure. Mais le jour, en se levant, révéla une présence : la mer n’était pas absolument vide car, à bâbord du Gerfaut , un autre navire était apparu au vent du français. D’abord assez éloigné, chaque souffle d’air le rapprochait et, bientôt, la longue-vue du capitaine Malavoine put en préciser les caractéristiques.
    — Un brigantin italien, grogna celui-ci, mais je jurerais à son accastillage qu’il a séjourné dans quelque chantier anglais.

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