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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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suppliciés et les claquements des lanières de bœuf tressé couvraient le cri rauque des oiseaux de mer. Et soudain, ce fut pire encore.
    Figés à leurs places, tant l’horreur exerce de fascination, les hommes du Gerfaut purent voir distinctement – car on était maintenant assez près – la masse noire des esclaves enchaînés et gardés par des marins armés de mousquets. Avec des grondements de colère, ils tiraient sur leurs chaînes tandis que, deux par deux, les hommes d’équipage empoignaient quelques-uns de leurs compagnons qui gisaient sur le pont pieds et mains liés et les jetaient par-dessus bord.
    Aux plaintes de ces malheureux, à leurs contorsions pour échapper à un sort affreux, il était évident qu’il ne s’agissait pas de cadavres mais bien d’êtres vivants, et ces plaintes devinrent des hurlements quand le sinistre triangle gris d’un aileron de requin, puis un autre, fendirent l’eau si calme de ce beau matin.
    — C’est monstrueux ! gronda Gilles. Nous n’allons pas regarder ce massacre en nous croisant les bras. Un canot à la mer et six hommes armés de mousquets et de sabres avec moi ! cria-t-il.
    Il voulut s’élancer vers la chaloupe mais le capitaine Malavoine s’interposa.
    — Je vous en prie ! Nous ne pouvons rien faire. Ceci n’est que l’expression, lamentable je vous l’accorde, de la loi normale sur la route de la traite. Toute révolte à bord d’un navire doit être punie.
    — Pas ainsi ! C’est un massacre !
    — Songez que ces hommes en ont peut-être tué d’autres…
    — Et alors ? Peut-on reprocher à ces malheureux d’essayer de retrouver leur liberté ou, tout au moins, de préférer mourir en combattant plutôt que sous le fouet d’un surveillant ?
    — Ils ont pris le risque. Ils paient à présent. Admettez tout de même qu’avec vos idées il n’y aurait plus de commerce possible.
    — Vous avez sans doute raison, capitaine, mais je ne crois pas avoir tort. Est-ce prêt ?
    Bousculés par Pongo, six marins armés avaient en effet mis une chaloupe à la mer. Armé lui aussi, Gilles sauta dedans. Penché sur le bordage, le capitaine l’adjurait encore :
    — Bon Dieu ! Mais que prétendez-vous faire ?
    — Essayer de sauver quelques-uns de ces malheureux.
    — Mais ils vont vous tirer dessus de là-haut. Vous voulez vous faire tuer pour ça ?
    — Ça ? Ce sont des créatures de Dieu comme vous et moi. Quant à me faire tuer, puis-je vous rappeler que vous avez des canons… et suggérer que vous les fassiez mettre en batterie ? Vous voyez bien qu’à présent ce sont des femmes qu’ils jettent aux requins.
    En effet, deux de ces pauvres créatures venaient de rejoindre leurs compagnons dans l’abominable bouillonnement rouge qui clapotait sous la coupée de l’espagnol. Debout dans le canot, Gilles épaula son mousquet, tira sur l’un des deux requins.
    Mais ses faits et gestes n’avaient pas été sans attirer l’attention de ceux de la Santa Engracia , tout occupés qu’ils fussent de leur tuerie. Le porte-voix du capitaine entra en action.
    — De quoi vous mêlez-vous, señor  ? Allez à vos affaires et laissez-nous aux nôtres.
    Il avait parlé en espagnol mais, depuis son long séjour aux gardes du corps de Sa Majesté Très Catholique, Gilles s’était familiarisé avec cette langue.
    — Vous appelez cela des affaires ? J’ai l’impression que vous êtes en train de faire perdre de l’argent à votre armateur. Quant à moi, j’ai le droit de chasser le requin quand et où il me plaît.
    — Allez le chasser ailleurs. Qui êtes-vous d’ailleurs ? Un de ces maudits Français…
    — Vous n’êtes guère aimable avec vos alliés, capitaine. Quant à ce que je suis…
    Une sorte de vrombissement lui coupa la parole. Le porte-voix du capitaine Malavoine était en train de mugir.
    — Je crois que ce que nous sommes est écrit en clair à la pomme du maître-mât… ou bien avez-vous besoin de lunettes, señor capitano  ?
    Instinctivement, Gilles se retourna et étouffa une exclamation de stupeur. Sinistrement insolent, le pavillon noir timbré d’une tête de mort et de deux tibias croisés s’agitait dans la brise molle à l’endroit où auraient dû normalement s’étaler les fleurs de lys de France mais le chevalier n’eut guère le loisir de se demander d’où Malavoine l’avait sorti car l’Espagnol éructait :
    — Un pirate ! Et ça vient vous faire la morale !

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