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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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se douterait de sa visite. Pendant tout ce temps, il se demanda : « Pourquoi ? »
    L'explication du cultivateur lui sembla la plus plausible: l'ennui. Ce désœuvrement qui faisait boire, fumer une pipe d'opium, perdre un après-midi au bordel. Tuer, aussi? Peut être. Tous ces jeunes gens devaient se penser à l'abri de la justice.
    Près du puits, il lava soigneusement ses deux pots, mit dans l'un sa motte de terre sanguinolente, et le ferma. Son mouchoir, un peu plus sec déjà, présentait une belle tache rosée en son milieu. Il alla dans le second pot. Le policier retourna à son auto, en faisant de nouveau un grand détour à travers les champs. Les témoins penseraient à quelqu'un revenant de cueillir des petits fruits, avec un contenant au bout de chaque bras. Il se trouvait depuis plus de quatre heures sur la propriété d'Henri Trudel.
    Le lieutenant Gagnon ramena la voiture dans le stationnement du poste de police. Un vieux journal découvert dans le coffre lui permit d'envelopper ses deux pots en verre. Il rentra chez lui à la sauvette. Il préférait ne pas mettre les pieds au poste, de peur de rencontrer Ryan. Mieux valait mettre de l'ordre dans ses idées avant de lui rendre des comptes. L'autre lui opposerait de nombreux arguments. Il souhaitait l'affronter avec des réponses toutes prêtes. Le convaincre ne serait pas une mince affaire.
    Vers cinq heures, il ouvrit la porte de son petit logement du quartier Saint-Jean-Baptiste. L'endroit reflétait la vie tout juste décente du petit employé. Deux chambres, l'une que se partageaient les deux enfants, l'autre pour lui et sa femme. Une causeuse et un fauteuil achetés à une vieille tante meublaient le salon. Dans un coin, un gros appareil radio, qu'il finirait de payer en décembre ou en janvier, se révélait le seul objet un peu luxueux. C'était la folie de cette décennie, l'achat de cet appareil. L'appartement jouissait de l'usage exclusif d'une salle de bain. Ce n'était pas exceptionnel, mais plusieurs couples de leurs amis devaient en partager une avec des voisins de palier. L'électricité portait la promesse de petits luxes encore inaccessibles, comme un réfrigérateur, un grille-pain.
    L'hiver, cet employé pouvait mettre du charbon dans le petit poêle pour tenir la famille au chaud. Personne ne quittait la table sans avoir satisfait sa faim. Toutefois, les restes d'un repas revenaient inexorablement au repas suivant. Ses proches vivaient mieux que la plupart des gens. S'ils acceptaient de descendre la côte, ils pourraient s'installer dans une maison bien à eux, dans Saint-Sauveur ou Saint-Roch. Peut-être même dans le nouveau quartier de Limoilou : c'était un peu plus loin, mais les enfants auraient plus d'espace.
    Dans le passé, Gagnon avait souvent fait ce petit bilan en entrant à la maison. Après une journée passée à se frotter à la misère, cela lui donnait l'impression d'aller quelque part, de réaliser quelque chose. Depuis quelques mois, l'enquêteur évoquait moins volontiers ce futur confortable, sa femme n'abordait plus d'autres sujets. C'était sa façon d'essayer de le motiver, de le sortir de sa morosité. « Reprends-toi », disait-elle. «Cesse de te laisser aller. Cesse de réfléchir à tout cela. »
    «Tout cela», c'était tout ce qui allait mal, toute cette souffrance, et surtout l'indifférence des autres à cette misère. Ils possédaient peu de choses. Mais sa femme angoissait à l'idée de perdre ces maigres richesses, et surtout la promesse d'un avenir tranquille, somme toute douillet.
    Gagnon se dépêcha de chercher un sac en papier brun dans la cuisine, pour mettre ses pots en verre. Il ne fit pas beaucoup de bruit, elle l'entendit tout de même.
    — Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-elle de l'embrasure de la porte.
    —    Je veux juste ranger cela. J'en ai besoin pour une enquête.
    L'homme mit le sac contenant les deux pots sur au-dessus d'une armoire. Les enfants ne pourraient pas l'atteindre, sa femme aurait besoin de monter sur une chaise pour se rendre si haut. Quand il se retourna, ce fut pour voir ses larmes.
    —    Qu'est-ce qu'il y a ?
    Il s'approcha d'elle, lui prit les mains. Les drames de la journée le rendaient si tendre avec elle, le soir. Depuis trois semaines, il avait été exquis.
    —    Le chef Ryan a téléphoné. Il voulait savoir où tu étais.
    —    Je... je faisais une enquête, bien sûr. On ne fait que cela, des enquêtes.
    —    Selon ses

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