Haute-Ville, Basse-Ville
puis replaça la moustiquaire. Son cerveau fonctionnait très vite, mieux qu'il ne l'avait fait depuis bien longtemps. Henri Trudel avait dit lui-même être venu là le 3 juillet. Son courrier s'entassait dans un casier à la poste depuis deux semaines. Le notable se faisait donc discret depuis la découverte du cadavre.
Personne n'était sans doute venu à la maison après le meurtre, puisqu'il n'y avait pas eu de feu dans le poêle à la suite de la destruction des vêtements. Ils pouvaient aussi avoir commis ce crime ailleurs, mais, compte tenu de l'heure à laquelle Blanche était passée au parc Victoria et de celle à laquelle le voisin les avait vus arriver, cela laissait peu de temps pour trouver une cachette, violer, torturer et tuer quelqu'un, puis venir à cette maison. Les événements devaient être survenus ici.
Ces hommes avaient-ils eu l'occasion de nettoyer les lieux du crime? Si des traces étaient encore visibles, il fallait les trouver tout de suite, avant qu'une demande de perquisition n'ameute ces jeunes gens et les incite à tout faire disparaître. Il n'existait pas d'autres bâtisses sur le terrain, sauf une petite remise. Elle contenait un peu de bois de chauffage, ce qui restait de l'hiver précédent. Ils avaient pu la violer dehors, le voisin avait entendu des cris et des rires. Le policier marcha longuement sous les arbres, mais ne trouva rien. Un panneau en bois fermait la margelle du puits. Il l'enleva pour regarder l'eau, deux mètres plus bas. Peut-être y trouverait-on les souliers et les bas de la jeune femme, ou d'autres pièces de vêtement tachées de sang. La pompe placée là fonctionnait bien. Il refit le tour du. terrain et s'arrêta cette fois devant la porte qui tranchait sur l'herbe du talus.
Un caveau à légumes avait été creusé dans le flanc de la falaise. A une époque très lointaine, l'eau du fleuve se rendait jusque-là. Elle s'était retirée sur quelques centaines de mètres, formant une plaine très fertile depuis la pente abrupte jusqu'à la rive actuelle du cours d'eau. Depuis deux siècles, une rangée de maisons s'adossait à cette pente, la route passait devant elles. Toutes profitaient d'un caveau de ce genre, creusé horizontalement dans le talus.
Un cadenas en fermait la porte. Gagnon avait dans sa poche un canif à lames multiples, un souvenir d'enquête sur une série de cambriolages. L'une d'elles avait été remplacée par un petit crochet d'acier. Celui à qui il l'avait pris mettait peut-être trente secondes pour crocheter une serrure comme celle-là. Le policier mit bien vingt minutes, passa près de casser le crochet dans le barillet. Un petit déclic souligna sa victoire. La porte, maintenant grande ouverte, permettait de faire entrer la lumière dans le réduit creusé à même le sol. Des étagères en bois recevaient une collection de bouteilles vides, la plupart couvertes de poussière, quelques-unes relativement propres. Il y avait aussi des bouts de bois, des vieux seaux rouillés, un arrosoir tout bosselé. Le caveau était exceptionnellement profond, au moins cinq mètres, peut-être six. Il y avait au fond de grosses caisses en bois.
Courbé pour ne pas se heurter la tête au plafond, Gagnon alla voir ce qu'elles contenaient. Il récolta une poignée de bran de scie. L'enquêteur replongea le bras, au risque de ruiner la manche de son veston, jusqu'à toucher la surface lisse et très froide. Trudel gardait une provision de glace. Deux ou trois fois dans l'été, le propriétaire des lieux devait se faire livrer de gros blocs. Avec ces énormes boîtes pleines de sciure, surtout dans ce caveau profond où la température restait basse, ils mettaient sans doute des semaines à fondre. Un pic à glace et un seau permettaient de récolter de quoi garnir la glacière, pour conserver la bière au frais.
Puis l'enquêteur comprit. Le docteur Grégoire avait dit que la victime était morte au plus tôt mardi, plus vraisemblablement mercredi. Mais, dans ce caveau, ce pouvait être aussi tôt que samedi. Tassé près de ces grandes boîtes, ou même à l'intérieur de l'une d'elles, le cadavre n'avait pu se décomposer très rapidement. Le corps ne portait aucune trace de sciure de bois, il devait plutôt avoir été déposé entre deux de ces caisses. L'espace suffisait tout juste. Avec la porte du caveau fermée, la température devait atteindre tout au plus quatre ou cinq degrés dans l'étroit réduit au fond de ce trou, au niveau
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