Haute-Ville, Basse-Ville
téléphoner à Ryan pour lui annoncer ma visite prochaine. Comme cela, il ne rappellera pas ici.
— Comment puis-je lui demander cela ?
— Tu es capable de convaincre un gros matou de ne pas manger un oiseau. Tu y arriveras.
Il lui fit signe de continuer vers le téléphone. Elle se retourna juste une minute pour lui dire comme à un enfant :
— J'ai vu que tu as ruiné tes vêtements. Des pantalons neufs !
— C'est vraiment une sale enquête. Je vais les nettoyer moi-même. Promis.
Il avait levé la main droite, comme les témoins disant «Je le jure » à la cour. Elle alla faire l'appel. Elle possédait l'une de ces voix mielleuses susceptibles de faire tomber la colère. L'enquêteur l'entendit s'excuser pour le rendez-vous manqué de la semaine précédente, prétexter un développement imprévu dans une enquête. Comme convenu, elle demanda une rencontre pour le prochain mercredi, à une heure. Le médecin dut lui dire que cette fois son mari ferait mieux d'être là, car il l'entendit répondre :
— Soyez certain qu'il sera là. S'il le faut, je le tiendrai par la main.
C'était exactement ce que son époux espérait qu'elle fasse.
Quelques minutes plus tard, le policier se déshabillait pour mettre quelque chose de plus confortable. Elle le rejoignit dans la chambre. Ils firent l'amour en plein jour. Quoiqu'ils fassent mariés depuis dix ans, cela donnait à la chose un goût délicieux de péché. Comme les enfants n'étaient pas là, elle ne réprima pas le «Maurice» sonore, plutôt que de se mordre la main, comme d'habitude. Cela le fit sourire, car elle était la seule à utiliser son prénom. Tous les autres l'appelaient Gagnon; tout simplement.
Maurice ne le saurait jamais, mais il lui avait fait un enfant. Après, ils mangèrent en partageant une bouteille de bière, puis écoutèrent de la musique, enlacés sur la causeuse. Cette fois, lui pleurait en silence sur l'avenir, et elle arrivait à goûter le moment présent.
Dès le lendemain matin, Gagnon commença la rédaction de son rapport. Il étala quelques-uns de ses petits carnets noirs sur la table de la cuisine, où il avait posé une vieille machine à écrire, une antiquité remontant à la fin du siècle dernier. Il commença par se remémorer l'affaire depuis sa première rencontre avec le couple Germain. Les notes alignées dans ses carnets étaient très succinctes, mais elles suffisaient à raviver ses souvenirs. Le policier reconstruisait grâce à elles le contenu des échanges, le ton des conversations, les choses découvertes au gré de ses rencontres. Par exemple, il trouva un mot griffonné en vitesse au début de la soirée du 8 juillet, après s'être rendu près du corps de Blanche, dans le parc
Victoria: «Gauthier trouvé livret de banque. Henri Trudel. Sous le drap. Vient des curieux ? Improbable. »
Ce serait le point de départ, le sujet des premières lignes de son rapport. Il enchaînerait en décrivant la visite effectuée chez les Trudel en compagnie de Ryan. La démarche avait permis d'apprendre des choses très utiles, comme la virée de ces jeunes gens à la maison de Château-Richer. Surtout, le fils du ministre avait un alibi douteux pour une grande partie du temps écoulé entre la disparition de Blanche et la découverte du cadavre: les déclarations de sa famille immédiate. N'importe quelle épouse, n'importe quel parent, témoignait en faveur soit du mari, soit de l'enfant.
Si la jeune fille était morte peu après être disparue, Henri ou un autre de ces jeunes hommes avait pu sortir sous le couvert de l'obscurité pour disposer du cadavre. Pendant la nuit du mercredi au jeudi, selon toute vraisemblance : le corps n'avait pas été là plus longtemps, et on ne l'avait pas déplacé en plein jour. Connaître les activités des six jeunes hommes deviendrait impératif. Ce serait un travail fou, mais, en s'adressant aux domestiques, il serait possible de vérifier toutes les histoires présentées par les parents ou les jeunes eux-mêmes. Les employés de maison ne seraient jamais assez entichés de leurs jeunes patrons pour mentir dans le but de leur éviter une accusation de meurtre.
Quand Gagnon en fut là dans son rapport, il s'arrêta. Comment présenter son expédition à la maison de Château-Richer? Le mieux était de demeurer muet, puisque cette visite était tout à fait illégale. Cependant, ses seuls soupçons ne feraient pas bouger Ryan. Le gros
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