Haute-Ville, Basse-Ville
avec d'infinies précautions.
La Taverne du Quartier latin, rue Saint-Jean, accueillait les étudiants depuis plusieurs années déjà. Ceux-ci y trouvaient des repas ni très bons ni très chers, mais consistants. La bière bon marché complétait le menu. Renaud avait vu des établissements de ce genre près de toutes les universités visitées en Europe. La place était très achalandée midi et soir. Chemin faisant, Michel Bégin lui avait présenté Jean-Jacques Marceau et Jacques Saint-Amant. Il y avait aussi avec eux Romuald Lafrance, rencontré au cours de l'été à La Malbaie. Le petit groupe occupa une table près d'une fenêtre donnant sur la rue.
— Il semble que vous faites merveille dans le travail d'élection, lui lança Henri Trudel depuis l'autre côté de la table.
Le garçon venait de commander de la bière pour tout le monde. Son ton contenait un soupçon de mépris.
— Je ne croyais pas faire merveille, mais comme votre sœur semble toujours encline à recourir à mes services, je ne dois pas avoir fait trop mal.
— Vous êtes modeste. Elise, mais aussi Lapointe qui est venu à la maison hier, avaient l'air bien enthousiastes.
Il prononçait cela du ton de celui qui n'en avait pas cru ses oreilles.
— Ils ont même évoqué le jour où vous seriez candidat.
Renaud éclata de rire et préféra avaler une gorgée de bière.
Ce jeune prétentieux lui devenait antipathique. Il décida de changer de sujet.
— Monsieur Saint-Amant, je pense que vos études tirent à leur fin ?
— Je l'espère. J'ai demandé de passer au programme de notariat cette année. Il se peut que l'on me demande de suivre certains cours supplémentaires.
— Les cours sur la propriété sans doute. Pourquoi ce changement d'orientation ?
— Une étude deviendra bientôt disponible dans ma région. Je pourrais faire mon année de cléricature avec le vieux notaire et reprendre le tout dans deux ou trois ans, quand il va se retirer complètement.
Ce projet d'avenir n'enthousiasmait guère le jeune homme. Renaud demanda encore, intrigué :
— Dans quelle région ?
— La Beauce.
— Tu vas mourir d'ennui à Saint-Malachie, intervint Romuald Lafrance. Il ne doit pas s'y passer grand-chose, ni s'y brasser de grosses affaires.
— C'est plus tranquille que la ville, bien sûr, puis on fait moins d'argent. Mais la vie est beaucoup plus calme et moins chère. Cela convient mieux à mon tempérament, je pense.
Le professeur se tourna vers Lafrance, qui semblait avoir beaucoup à dire, pour le questionner :
— A vous entendre, vous avez certainement choisi une carrière plus palpitante que le notariat. Où trouverez-vous les émotions fortes que vous attendez de l'existence ?
— Je vais reprendre les affaires de mon père, je pense, fit-il un ton plus bas.
— La construction de ponts et de routes ? Voilà une existence trépidante, en effet. Vous cultivez aujourd'hui les amitiés susceptibles de vous valoir des contrats demain.
Renaud ne cherchait pas à dissimuler son ironie. Il ne se ferait pas un ami de ce garçon, et il n'y tenait pas. Lors de discussions dans les corridors, ses collègues lui avaient laissé entendre combien Lafrance était un étudiant médiocre, peu intéressé par le droit. Sans ses bonnes relations, on l'aurait déjà évincé de la faculté.
— Nous savons tous que monsieur Trudel se destine aux plus hautes fonctions publiques de la province, sinon du pays, continua Renaud en se tournant vers Henri-.
— Cela n'est pas bien d'avoir des ambitions ? demanda celui-ci, piqué au vif.
— Au contraire. La République, bien que nous soyons en monarchie parlementaire, appelle les meilleurs d'entre nous. Peut-être travaillerai-je un jour à votre élection, si je fais merveille auprès de monsieur Lapointe. Je nous vois d'ici sur les hustings, le maître et l'élève, vous devant, haranguant la foule, moi derrière, faisant merveille.
Le professeur entendait s'amuser un peu aux dépens de ce grand gaillard privilégié. Ayant tout reçu à la naissance, il vivait en considérant que tout lui était dû. Surtout, Renaud trouvait agaçant de le voir poser comme un monarque au milieu de sa cour composée de ces jeunes gens. Pire, une cour à laquelle la belle Helen se joignait.
— Monsieur Marceau, continua-t-il en tournant le dos à demi à Henri, vous commencez votre
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