Haute-Ville, Basse-Ville
ne réussit pas à convaincre son amie de s'abandonner à eux.
— Ce personnage de Julie t'inquiète ?
— C'est moi qu'on accuse d'être une débauchée.
— On ne donne pas ton nom, ni aucun indice pour t'identifier.
— Mais j'étais la seule amie de Blanche. Tout le monde à la chorale, au travail, va penser que c'est moi.
Cette situation la mettait vraiment hors d'elle. Renaud savait son attachement à sa réputation.
— Quelqu'un t'en a parlé ?
— John Grâce est venu me voir à l'heure du lunch, dès qu'il a eu une minute de libre. Lui m'a reconnu. Il veut consulter un avocat, Thomas Lavigerie, à ce sujet. Bientôt, tout le monde va parler de cette histoire au magasin.
La situation devenait plus complexe. L'homme demanda, intrigué :
— Quelqu'un pourrait te reconnaître, et il consulte un avocat?
— Lui aussi figure dans cette histoire. Continue de lire.
La suite de la brochure rappelait encore un mauvais film,
ou un mauvais roman. Les jeunes richards du Club des vampires avaient un domestique, plus ou moins criminel. Ce complice avait emprunté un camion de boucher et s'était arrangé pour se tenir non loin du lieu où Blanche et Julie/Germaine devaient se rencontrer un samedi, à la fin de leur journée de travail respective. Julie attira Blanche dans le camion. Celle-ci ne se méfia pas de son amie, monta dans le véhicule. Le domestique s'empara d'elle, la réduisit au silence et la conduisit vers une maison isolée, le lieu de réunion du Club des vampires. Là, elle fut violée à plusieurs reprises, torturée et tuée.
— Je vois, fit Renaud.
L'auteur savait sans doute que Blanche avait pour seuls amis à la chorale - et dans la vie - Germaine Caron et John Grâce. Il avait construit son histoire de Club des vampires en leur attribuant un rôle dans son triste destin. La brochure faisait clairement de la dernière personne à avoir vu Blanche vivante la complice de son enlèvement. Elle ajoutait en plus John Grâce pour faire bonne mesure. Il fallait un homme pour maîtriser la jeune femme et conduire le véhicule.
— On ne peut pas laisser des histoires comme cela circule r, insistait Germaine. Je risque même d'être mise à la porte si les clients me prennent pour cette Julie.
— Nous n'en sommes pas là. Je vais rencontrer l'auteur de cette brochure pour lui demander d'abord un démenti, ensuite un dédommagement. Cela ne sera pas facile, cependant.
— Comment cela? S'il me fait du tort, il doit me dédommager.
Outragée, attachée à sa réputation, elle se voyait déjà devant les tribunaux.
— Ce texte ne donne pas ton nom, ni celui de la ville. Dans un procès, son auteur clamerait qu'il s'agit d'une invention.
— On reconnaît très bien Blanche: orpheline, désirant devenir religieuse. Continue de lire, tu reconnaîtras très bien Québec aussi.
Les dernières pages évoquaient la panique des vampires quand ils s'étaient retrouvés avec un cadavre sur les bras. Heureusement pour eux, le fils du plus éminent habitant de la ville de «X» arriva au Club. L'auteur le désignait de l'initiale «H». Audacieux, il s'engagea à tirer ses compagnons d'affaire. La nuit, il transporta le corps en chaloupe jusqu'à un parc situé sur le cours d'une petite rivière. La finale de la brochure était particulièrement éloquente :
Divers articles, un livret de banque et des bijoux sont trouvés à peu de distance dans les broussailles. Des traces de pas paraissant venues de la rivière sont aussi aperçues sur le terrain plus mou du bord. L'enquête du coroner dura plusieurs jours: de nombreux témoins furent entendus. Tous ceux qui connaissaient Blanche la proclamèrent exempte de tout reproche et digne des plus grands éloges. Le curé de la paroisse de S., appelé à témoigner, fit la superbe réponse suivante à l'avocat qui tentait de ternir la réputation de Blanche: «Sa mort prouve assez en sa faveur: si elle eut été ce que vous tentez de faire croire, elle serait revenue vivante. » Les objets retrouvés sur les lieux, après examen, sont mis de côté comme n'ayant aucun rapport avec le crime. Des traces de pas venant de la rivière, il ne fut pas question. Le verdict fut: «Morte assassinée par des inconnus. »
Plusieurs arrestations furent faites en rapport avec ce meurtre, mais toujours des alibis démontrèrent que la police n'était pas sur la bonne piste.
«H»
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