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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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    —    Tout a été piétiné. La meilleure façon d'amener un corps à cet endroit, c'est par la rivière, mais toutes les traces de pas ont été effacées par la foule. S'il y avait des fils tirés des vêtements du coupable par les buissons, on ne pouvait plus les différencier de ceux arrachés aux vêtements de tous ces curieux. Même chose pour les bouts de cigarettes, d'allumettes. La scène était contaminée par toutes ces personnes.
    —    Mais les bijoux, le livret de banque ?
    —    Le lieutenant Gagnon n'a pas trouvé de bijoux. Il y avait bien un livret de banque.
    Il y eut un murmure incrédule dans la salle. Les conservateurs trépignèrent d'impatience. Le policier continua :
    —    Ce livret avait été déclaré volé par son propriétaire avant la découverte du corps. Le coupable du larcin l'a perdu là. S'agit-il de l'auteur du meurtre ou de l'un des curieux, nous ne pouvons le savoir. La seconde éventualité semble la plus probable, car il était en très bon état. Il n'était pas là depuis longtemps.
    —    Vous avez cru le propriétaire du carnet sur parole ? Il pouvait mentir.
    Alain Touchette levait les sourcils comme si la naïveté du policier le laissait pantois.
    —    Bien sûr que non. Nous nous sommes informés à la banque. Il avait signalé le vol. Puis nous lui avons demandé avec qui il était au moment de la disparition de cette jeune fille. Nous avons vérifié son alibi. Il était à toute épreuve.
    —    Vous pouvez me donner le nom de cette personne ?
    —    Objection, Votre Honneur.
    Laurent Marchais s'était levé d'un bond. Il continuait:
    —    Nous l'avons vu aujourd'hui, deux personnes ont subi un sérieux préjudice parce qu'elles avaient le malheur d'être des amies de cette pauvre jeune femme. La justice souffrirait d'une autre rumeur susceptible de salir la réputation d'un innocent.
    Alain Touchette répliqua tout de suite :
    —    Le chef de police vient de nous affirmer que cette personne avait un alibi. Elle ne risque rien.
    —    Un irresponsable peut encore en faire un personnage de roman, dans une vilaine petite brochure obscène. Personne n'est dupe dans cette salle. Nos amis conservateurs voudraient entendre nommer un libéral pour le traîner dans la boue et essayer de gagner quelques votes.
    —    Mon éminent collègue convient-il que ce livret de banque appartenait à un libéral ?
    L'avocat de l'opposition affichait une mine satisfaite, comme au moment d'une grande victoire.
    —    C'était fort probablement le cas, rétorqua Marchais de sa grosse voix, j'en conviens. Presque tout le monde vote libéral à Québec. La plupart de ces curieux devaient être des libéraux. Je vais même vous faire une confidence : presque tout le monde est libéral à la prison de Québec. Les libéraux ne sont pas plus malhonnêtes que les autres, mais il n'y a presque plus de conservateurs à Québec. Et le chef Ryan envoie en prison les criminels libéraux comme les conservateurs.
    Un tonnerre d'éclats de rire, et même quelques applaudissements secouèrent la salle. Le juge Montpetit fit claquer son maillet à plusieurs reprises pour ramener le calme. Il dit enfin :
    —    Donner le nom d'une personne dont l'alibi a déjà été vérifié ne servirait en rien la justice. Ce serait alimenter des rumeurs malsaines qui font grand tort à notre vie politique.
    Les conservateurs grommelèrent un moment, déçus. Maître Touchette secoua la tête de dépit et reprit son interrogatoire en affichant beaucoup moins d'entrain :
    —    Chef Ryan, nous sommes honorés de vous voir ici. J'aimerais cependant savoir pourquoi nous n'avons pu obtenir le témoignage du lieutenant Gagnon aujourd'hui ?
    —    Malheureusement, le pauvre homme est interné à l'asile Saint-Michel-Archange depuis plusieurs semaines. J'ai même apporté une copie du rapport qui m'a été envoyé par son médecin traitant.
    Il tendit une enveloppe au juge et continua :
    —    C'est peut-être confidentiel.
    Le juge Montpetit parcourut la lettre des yeux. Il déclara après un instant :
    —    Si vous l'exigez, nous pourrons demander à son médecin de témoigner demain. Je peux toutefois éviter à tout le monde de revenir ici en vous résumant la situation: le lieutenant Gagnon est frappé de démence et son médecin ne prévoit pas que son état puisse s'améliorer un jour.
    Alain Touchette exprima son assentiment. Entendre un

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