Haute-Ville, Basse-Ville
bienveillant de leurs consœurs. Il les trouva plutôt impatientes, sinon brutales, dans leur façon d'aborder les internés. Les congrégations orientaient sans doute les religieuses les plus sympathiques vers des œuvres plus gratifiantes, ou encore les années passées à s'occuper de malades mentaux finissaient par agir sur les caractères les mieux disposés.
A cette époque où la pharmacopée, outre des opiacés, n'offrait pas grand-chose pour agir sur les comportements, contenir des centaines, sinon des milliers de patients avec un personnel très limité ne constituait pas une mince affaire. Renaud voyait certains malades errer dans les corridors avec des camisoles de force. Surtout, il entendait gueuler derrière de lourdes portes closes: on devait limiter les mouvements des plus agités par la force, en attacher certains à leur lit, mettre les autres dans des cellules.
Dans une salle assez grande, Renaud découvrit un pensionnaire assis dans un coin. Il semblait assez jeune, quoique son uniforme et sa coupe de cheveux ridicule rendaient tout jugement sur son âge plutôt risqué. Il y avait devant lui un autre patient accroupi.
— Ernest, mon vieux cochon, que tu fais ici ?
L'infirmier s'empressa de relever cet intrus en le prenant
par le collet de son uniforme et il le chassa de la pièce en lui donnant quelques claques derrière la tête. «Il a eu des ennuis avec la justice pour des histoires de violence avec les patients », se rappela Renaud en le voyant faire. «Accusations probablement fondées», songea-t-il encore.
Le patient chassé ainsi ne se pressait pas vers la porte. Il était assez âgé, à en juger par la mince couche de cheveux et la barbe grise de trois jours. Son clin d'œil à Renaud s'accompagna d'une invitation explicite: la bouche en rictus était entrouverte sur des gencives édentées à l'avant et il agitait un bout de langue dans cet interstice.
— Il est toujours comme cela, commenta l'infirmier. Pas violent mais, si on le laisse sans surveillance un moment, on le retrouve entre les jambes d'un patient.
Quand Ernest fut sorti, l'infirmier lui désigna l'autre homme en disant:
— Votre beau-frère, le lieutenant de police Maurice Gagnon.
Renaud se demandait bien ce qu'il devait faire maintenant. Il s'approcha de l'agent, reconnut l'ombre de l'homme aperçu à l'enquête du coroner. Maintenant sans âge, son pantalon portait de longues traînées d'urine. Il sentait la merde et un filet de bave ininterrompu coulait de sa bouche toujours entrouverte. Visiblement, tous ses sphincters avaient repris leur indépendance, et son esprit vagabondait ailleurs. Renaud tira une chaise et se plaça devant lui, pas trop près à cause de l'odeur. Il ne trouva rien de mieux à dire que :
— Lieutenant Gagnon, à qui appartenait le livret de banque trouvé près du corps ?
A son nom, l'autre eut un vague mouvement de la tête. Ce fut du moins l'impression de Renaud, qui essaya de nouveau :
— Maurice Gagnon, à qui appartenait ce livret trouvé près du cadavre de Blanche Girard, en juillet dernier ?
La question démarra bien quelques rouages dans l'esprit du policier. Il commença à chanter quelque chose. Renaud saisissait «Nanana-nanana», sur un rythme répétitif. Il se releva après un moment sans que le policier n'arrête sa mélopée. Quand il rejoignit l'infirmier, il dit :
— Il ne comprend plus rien ?
— Il a reçu des drogues, des bains d'eau froide, on l'a mis dans la chambre noire. Cela les laisse toujours dans un état de stupeur.
— N'est-ce pas...
Renaud chercha ses mots un moment.
— N'est-ce pas un peu agressif, comme traitement?
— Je ne suis pas médecin, fit l'autre.
— Qu'en pensez-vous ?
L'autre afficha sa surprise. Personne ne lui avait jamais demandé son avis.
— Nos savants médecins ne savent pas ce qu'ils font, la plupart du temps. Ils ne sont pas capables de soigner les fous. Mon père travaillait ici avant la Grande Guerre. Dans le temps, ils utilisaient beaucoup les douches ou les bains d'eau glacée. Des patients restaient des heures dans l'eau froide. J'ignore ce que cela donnait pour la folie, mais l'hôpital se vidait grâce aux pneumonies. Ils utilisaient aussi des caisses complètement fermées, des cellules de «privation sensorielle». Il n'y a pas vraiment eu de progrès depuis. Ce sont toujours des comportements de sauvages contre de pauvres
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