Haute-Ville, Basse-Ville
allait avec assurance vers une victoire. Renaud et Elise avaient laissé tomber les «mademoiselle» et les «monsieur» l'un envers l'autre dans cette fièvre victorieuse, pour s'appeler par leurs prénoms. Ils en étaient toujours au vouvoiement cependant, et Renaud consacrait ses jeudis soirs et ses dimanches à Germaine Caron. Il était aussi retourné au Chat pour bénéficier des services de la gentille Lara. C'était finalement une vie agréable de célibataire : il ne regrettait plus son retour à Québec.
Le 29 octobre au soir, l'équipe libérale se trouvait dans la salle de bal du Château Frontenac pour attendre les résultats de l'élection. Comme la victoire de Lapointe et des autres candidats libéraux était certaine, on avait trouvé plus simple de se rencontrer tout de suite sur les lieux de la fête. Tout le monde identifié au Parti se trouvait là, y compris Helen McPhail. Renaud ne l'avait pas revue depuis sa dernière visite chez les Trudel. Elle se révélait toujours aussi charmante, avec ses jambes bien droites et ses genoux coquins. Il fallait être bien entiché pour trouver coquines deux rotules dans des bas de soie. Elle vint vers lui :
— Monsieur Daigle, quel plaisir de vous voir. Malheureusement, nous n'avons jamais eu l'occasion de nous rencontrer. Je croyais pourtant, après votre appel de l'été dernier...
Malgré ses dix ans de plus, dans ce jeu son interlocutrice était le chat, et lui la souris. Il regretta de ne pas l'avoir rappelée, après sa première tentative en juillet. Henri Trudel, en grande conversation avec Ernest Lapointe, perdit son sourire un court moment en les voyant ensemble. Blanche Girard s'estompait un peu de son esprit après l'intense angoisse ressentie au moment de l'enquête on discovery. S'il s'accordait de nouveau un verre de vin ou de bière tous les deux jours, l'abstinence sexuelle commençait à lui peser. Sa pénitence s'achevait et l'air joyeux, les bouclettes et les yeux bleus de Helen McPhail ne lui tombaient plus sur les nerfs.
— J'ai été particulièrement occupé ces dernières semaines, s'excusa Renaud, au point de négliger les amis peut être.
L'avocat devenait le centre des regards du clan Trudel au complet. D'un autre point de la salle, Elise avait vu leur conciliabule. Elle vint vers eux avec la vivacité de quelqu'un désireux d'empêcher un malheur d'arriver. Sa mère, d'un autre coin de la salle, se dit que cela ne se faisait pas de se jeter ainsi à la tête d'un homme.
La jeune femme lança d'un air exagérément joyeux quand elle fut près d'eux:
— Renaud, j'apprends que vous allez présenter un exposé lors des Belles Soirées.
Elle était heureuse de montrer qu'ils en étaient à l'usage des prénoms.
— C'est vrai, répondit-il dans un sourire, même s'il trouvait son arrivée tout à fait inopportune. Le recteur Neuville a été plutôt explicite, la semaine dernière : les professeurs de l'Université Laval doivent se faire un devoir d'offrir un loisir honnête aux habitants de cette ville, maintenant que le mauvais temps est à nos portes.
Les Belles Soirées, c'étaient des conférences plus ou moins savantes présentées dans les locaux de l'université, par des professeurs le plus souvent. Elles devaient élever le niveau culturel des compatriotes. Le conseiller législatif Thomas Chapais en était un habitué : il présentait des tranches de son interminable histoire du Canada depuis des années.
— De quoi allez-vous entretenir les bonnes gens de Québec? demanda Helen McPhail avec un brin de mépris pour la petite ville de province.
Si elle trouvait l'intrusion d'Elise un peu envahissante, elle ne le laissait pas voir du tout, sinon en l'englobant dans « les bonnes gens de Québec».
— J'avais pensé à quelque chose sur le quatrième alinéa du soixante-treizième article de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Le sourire des deux jeunes femmes se figea un peu. Il les laissa un moment chercher un commentaire poli sur un sujet aussi ennuyeux, puis se reprit:
— Je blague, bien sûr. Je vais plutôt présenter quelque chose sur les récentes découvertes de Howard Carter en Egypte.
— Vous voulez dire le tombeau de Toutankhamon ? demanda Elise.
— C'est ça. Je ne suis évidemment pas un spécialiste de l'histoire ancienne, mais j'ai expliqué à Mgr Neuville que ce serait cela, ou alors je plongerais l'assistance dans un profond
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