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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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elle devait ressentir une irrésistible envie, en même temps qu'une grande terreur, de dire les choses comme elles étaient. Il perçut comme un grattement timide à la porte.
    Elle ne voulut pas enlever son imperméable, prétextant en avoir pour une minute seulement. Il posa une tasse de thé sut une petite table près du fauteuil où elle s'était assise et prit place en face d'elle. L'homme n'osait pas commencer la conversation, cela rendait les choses encore plus difficiles pour la visiteuse. Elise jouait avec ses doigts, se mordait la lèvre inférieure, les signes habituels de sa très grande nervosité. Elle commença après un long moment :
    —    Je me sens tout à fait ridicule de me trouver ici. Je n'ai aucun droit de vous demander cela...
    Elle fit une pause et jeta tout à trac :
    —    Que ressentez-vous pour Helen ?
    Renaud se demanda si elle voulait vraiment une réponse. Elle reprit bientôt :
    —    Cela n'a pas d'importance au fond. Je souhaite vous dire ce que je ressens de mon côté. Je suis amoureuse de vous depuis des mois.
    La dernière phrase avait été débitée très vite, faiblement, les yeux fixés sur le sol. Répondrait-il «Moi aussi»? Rien ne vint.
    Elle eut le courage de lever les yeux après un moment. Ses paupières enflées trahissaient des pleurs récents. Ceux d'une femme achevant son deuil. Elle continua :
    —    Quand Armand Bégin et mes parents ont convenu de vous inviter à La Malbaie, j'étais en furie. Ils vous tendaient un piège en quelque sorte. J'ai même fait une remarque que je voulais mesquine, sur votre uniforme. Je vous ai aimé quand vous avez répondu «Je n'avais rien à me mettre.» C'est complètement idiot, n'est-ce pas? Je dis cela sans cesse et personne ne tombe amoureux de moi.
    Elle lui adressa un petit sourire. Cela n'avait rien d'idiot, il avait ressenti la même chose pour Helen ce soir-là. «Faux», se dit-il aussitôt. Il n'y avait rien de si terriblement absolu dans son intérêt pour la jeune Irlandaise. Il pouvait tout demander à Elise. Un mot de lui, et elle le suivait dans sa chambre avec un enthousiasme quasi mystique. Cela même lui faisait peur. Pareille union équivaudrait à une conscription : Renaud pouvait s'imaginer avec elle dans trente ans, travaillant à la réélection d'Ernest Lapointe ou, pire, d'Henri Trudel. Devenir membre d'un clan d'arrivistes grâce à un mariage « raisonnable » lui répugnait.
    Répondre à Elise qu'il l'aimait aussi était la chose la plus naturelle du monde. Il n'arrivait pas à s'y résoudre.
    —    Vous ne partagez pas ce sentiment, fit-elle après un moment.
    Leurs deux vies se trouvaient maintenant sur deux lignes parallèles. Elles pourraient courir encore cinquante ans côte à côte sans jamais se toucher. Chacun sentait cela au plus profond de lui.
    —    J'aimerais vous dire encore quelque chose.
    Sa voix était très lasse maintenant, en même temps que plus assurée.
    —    Je ne suis pas la vieille fille desséchée que beaucoup semblent imaginer.
    Renaud voulut l'arrêter, dire que personne ne pensait cela. Elle le fit taire d'un signe de la main.
    —    J'ai eu un fiancé terriblement beau, il y a plusieurs années. Il est mort en mars 1919. Il était né juste assez tard pour échapper à la guerre, il est passé à travers la grippe espagnole, puis il est mort d'un empoisonnement du sang après s'être blessé sur un clou rouillé. On lui a coupé la jambe, mais il était trop tard. La gangrène avait atteint le ventre...
    Renaud cherchait quoi dire, ne trouvait rien. Un silence pesant dominait la pièce. La visiteuse continua après un moment, la voix de plus en plus assurée :
    —    Je me fais pitié ces jours-ci. Deux amours déçus, dont un seul fut partagé, c'est beaucoup dans une vie. Je suis peut être plutôt chanceuse, beaucoup n'en connaissent aucun. Mais je n'arrive pas à m'en réjouir aujourd'hui.
    Elle se leva et se dirigea vers la porte, très digne. Il se leva pour la reconduire. Quand elle eut posé la main droite sur la poignée, elle plaça la main gauche sur la joue de Renaud. Il la trouva très douce, très chaude, presque fiévreuse. Il sentit même une chaleur sourde dans son bas-ventre. Si elle s'était tue et était venue dans ses bras, à la place de parler... Malheureusement, tous les deux disaient les choses avant de les vivre. Elle avait les yeux rivés aux siens.
    —    Tu sais, Renaud, tu vas souffrir.
    Elle

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