Haute-Ville, Basse-Ville
à l'intérieur, trois bonnes pages. Marceau commençait ainsi :
Vous n'allez pas vous impliquer dans cette affaire. Toutefois, je vous en ai à la fois trop dit et pas assez. Ne serait-ce que pour partager mon histoire au moins une fois, je vais vous la raconter
Les feuillets contenaient le récit des malheurs d'un collégien dont le directeur de conscience s'était entiché. Certains paragraphes étaient particulièrement révoltants, car un homme fait abusait d'un jeune garçon influençable. Le jésuite l'avait convaincu de lui faire part de ses premiers émois sexuels, de lui montrer comment il se touchait. Le religieux présentait leurs activités comme un péché véniel, surtout avec un prêtre consacré... Le texte lui réservait d'autres horreurs: le pédéraste avait «prêté» Marceau à un autre religieux, il avait invité un collégien plus âgé à se joindre à eux.
En même temps, l'histoire se révélait terriblement banale. Une personne en situation d'autorité en utilisait une autre. Cela pouvait être un adulte avec un gamin ou une gamine, Blanche face à ses violeurs, un patron avec une employée dont le salaire était absolument nécessaire à la survie familiale, l'époux forçant sa conjointe à faire son «devoir conjugal» même si une autre grossesse pouvait ruiner sa santé. Si Renaud avait mis de la pression sur Germaine, celle-ci aurait fini par lui céder. Il était allé au bordel à la place, ce qui était à la fois différent et terriblement semblable. Il traitait les prostituées avec beaucoup de tact. Mais Lara, par exemple, s'était assurément retrouvée au bordel sous les pressions conjuguées de bien des hommes.
L'avocat termina sa lecture en colère contre l'Église, le système des collèges, les hommes en général, le directeur de conscience en particulier. En colère contre lui-même, aussi. Si Marceau avait été devant lui, il lui aurait dit de prendre une bonne petite masse de cinq livres, de se trouver un complice, et de réduire en bouillie les deux rotules de son directeur de conscience. Pareille sentence vaudrait celle de n'importe quel tribunal. Le coupable roulerait dans un fauteuil pour le restant de ses jours et aurait beaucoup de mal à sodomiser de nouveau un gamin penché sur son prie-Dieu.
Il lui aurait conseillé de faire cela, mais il n'aurait pas essayé de plaider pour lui. A titre de professeur à l'Université Laval, il était lui-même un employé de l'Eglise.
Renaud dormit mal, s'éveilla de mauvaise humeur contre la terre entière. À ses haines de la veille s'ajoutait une rancœur tenace contre Thomas Lavigerie. Toute la nuit, Blanche Girard avait hanté ses pensées. Surtout, il était en colère contre lui-même.
Comme la plupart de ses décisions importantes, le professeur prit celle-là sans réfléchir. Il téléphona au presbytère de la paroisse Saint-Roch et demanda à parler au vicaire Pierre Pelletier. Alors jeune collégien, ce dernier avait participé aux ébats sexuels de Jean-Jacques Marceau et du religieux. Le hasard voulait aussi qu'il fut le directeur de la" chorale. Il obtint un rendez-vous avec lui à une heure. L'ecclésiastique demeura bien inquiet car Renaud refusa de lui donner le motif de sa visite.
— Cette question est bien trop personnelle pour l'aborder au téléphone, murmura-t-il avant de raccrocher.
Le presbytère de la paroisse Saint-Roch était une grande bâtisse de pierre grise capable d'abriter une armée de prêtres. Des religieuses s'occupaient de l'entretien de la maison et de la cuisine pour tous ces hommes. Dégagés des soucis quotidiens, ceux-ci se consacraient exclusivement à leur sacerdoce. Ils avaient beaucoup à faire pour bien encadrer leurs ouailles: dire la messe, administrer les divers sacrements, visiter toutes les écoles pour confesser, prêcher et distribuer les bulletins des élèves une fois par mois. Tout cela n'était que la pointe de l'iceberg. Il fallait assurer une présence auprès des scouts, des guides, des Filles d'Isabelle, des Dames de Sainte-Anne, des Enfants de Marie, des confréries de la lionne Mort et de la sainte Famille, des Ligues du Sacré-Cœur, de la section paroissiale de la Société Saint-Vincent-de-Paul. Certains prêtres s'occupaient encore des terrains de jeux Pété, présentaient des films édifiants toute l'année pour contrer l'influence délétère des films américains des salles commerciales. Une multitude de bonnes œuvres devaient permettre
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