Haute-Ville, Basse-Ville
à tous les paroissiens de naître, vivre et mourir en bons chrétiens.
Pierre Pelletier se dévouait à beaucoup de ces tâches, mais il appréciait surtout la direction de la chorale. Il avait même un plan de carrière: assumer la responsabilité de la chorale de la cathédrale, un jour. Quand Renaud lui serra la main, il souhaita ne jamais voir quelqu'un lui confier une manécanterie, l'un de ces charmants chœurs composés de jeunes garçons prépubères dont les voix, paraît-il, rappelaient celles des anges. Les anges n'étaient pas censés avoir de sexe, mais tout de même...
Bien sûr, Renaud avait souvent entendu Germaine parler de l'adorable abbé Pierre Pelletier. Il le connaissait pour l'avoir aperçu quelques fois sur le perron de l'église, quand il la rejoignait le dimanche. L'abbé le reconnut aussi et d'une certaine façon fut soulagé en croyant comprendre la raison «personnelle» de ce rendez-vous.
— Monsieur Daigle, fit-il à voix basse, il est trop tard, j'en ai peur. Ils sont engagés maintenant.
— Pardon? Je ne comprends pas.
Ce fut au tour du prêtre d'afficher sa confusion.
— Vous ne voulez pas me parler des fiançailles de Germaine et John?
— Non, pas du tout. Il ne pouvait rien leur arriver de mieux.
Renaud n'en était pas absolument certain, mais c'était la chose à dire.
— Alors, je ne vois pas de quoi vous voulez m'entretenir.
Tous les deux se tenaient dans l'entrée du presbytère, quelqu'un pouvait survenir à tout moment.
— Il serait plus convenable de trouver un endroit discret. Je veux vous parler d'une question tout à fait confidentielle.
L'abbé Pelletier cherchait encore. «Il ne veut tout de même pas se confesser», se dit-il. A tout hasard, il l'emmena dans une pièce un peu à l'écart, le pria de s'asseoir et s'installa lui-même derrière un lourd bureau. Il mit ses mains l'une dans l'autre et attendit en les frottant ensemble d'un geste tout à fait clérical. Renaud reconnaissait chez lui toutes les qualités du jeune clerc affable. Les paroissiens le trouvaient sûrement «moderne»; surtout les paroissiennes. Dans ce milieu ouvrier, les hommes devaient par contre le trouver un peu trop raffiné, une autre façon de dire efféminé. Ils auraient préféré un robuste curé issu de la campagne, aux mains calleuses et dont les narines ne se plissaient pas sous l'effet d'odeur d'étable. Un prêtre pour qui la religion reposait sur l'offre de services, sans en faire toute une histoire: les baptêmes, les mariages et les funérailles.
— Je viens vous voir à titre d'avocat, celui de Jean-Jacques Marceau. Vous le connaissez bien, je crois?
— Que lui est-il arrivé ? Il y a longtemps que je ne l'ai vu.
— Il ne lui est rien arrivé récemment. Vous pourriez peut-être lui venir en aide, cependant. J'aimerais savoir si vous le connaissez bien.
— Nous fréquentions le même collège. Il est de trois ou quatre ans plus jeune que moi, alors je n'ai jamais été dans sa classe. Mais nous nous sommes connus à ce moment.
Renaud crut voir un certain malaise chez le prêtre. Était ce une illusion?
— Vous ne l'avez pas revu depuis le collège ?
— Je l'ai côtoyé assez régulièrement pendant toutes mes années d'études, et très souvent depuis que je m'occupe de la chorale.
— Comment cela ? Il en est membre ?
Renaud affichait une surprise totale.
— Non, pas vraiment. Seulement, il venait très régulièrement jouer du piano lors des répétitions.
— Il a rompu avec cette habitude dernièrement, si je comprends bien. Vous avez dit ne pas l'avoir vu depuis longtemps.
— Depuis le meurtre de Blanche Girard. Cela l'a beaucoup affecté. Il ne fut pas le seul, d'ailleurs. Quelques personnes ne sont jamais revenues à la chorale. Elles ne voulaient plus penser à ce crime, cela les rendait trop tristes.
Il fit une pause recueillie avant de continuer :
— Mais vous n'êtes pas là pour me parler de la chorale, j'en suis sûr. Vous êtes avocat. Est-ce que Jean-Jacques a fait quelque chose de mal ? Cela me semble impossible.
Maintenant, le visiteur devait cesser de tergiverser et aborder le véritable motif de cette rencontre. Heureusement, le jeune abbé n'aurait pas plus envie que lui d'ébruiter leur conversation. L'entretien demeurerait secret.
— C'est plutôt à lui que l'on aurait fait quelque chose. Il est venu me.
Weitere Kostenlose Bücher