Haute-Ville, Basse-Ville

détestaient après cela. Suffisamment pour que l'un d'eux lui tire dans le dos.
    —    Avais-tu un autre choix? lui demanda-t-elle dans un souffle.
    —    Attendre, essayer encore de le sauver...
    Il cherchait une réponse.
    —    Cela aurait-il été préférable? N'as-tu pas fait pour le mieux?
    —    Je l'ai tué.
    Il y eut un long silence.
    —    Tu rêves souvent de lui ?
    —    Peut-être une fois par semaine. Une scène revient sans cesse. Je suis dans un endroit public, il entre et vient vers moi.
    —    Il te dit quelque chose ?
    Lara avait une voix terriblement rassurante, ou était-ce l'effet du médicament?
    —    Il commence. Alors, je panique... je me réveille, comme tout à l'heure.
    —    Parle avec lui.
    —    Voyons, il est mort !
    Il la regardait, un peu inquiet.
    —    Pas pour toi. Tu le gardes vivant dans ton esprit. Autant écouter ce qu'il a à dire, non? Quels reproches peut-il t'adresser que tu ne t'es pas déjà fait à toi-même ?
    Elle se recoucha, plaça doucement les couvertures sur sa poitrine et le regarda un moment. Il finit par fermer les yeux et se rendormir. C'était la première fois: d'habitude, il veillait jusqu'au lever du jour. Quand elle fut certaine de son sommeil, elle referma la lumière.
    Renaud revint dans le pub. Il se rendit compte qu'il était en pyjama, mais personne ne le remarquait. C'était un songe curieux: dans un état de demi-conscience, l'homme savait rêver. Timmy avalait sa bière tout en le regardant dans les yeux. Après un moment, il ne put plus résister et demanda :
    —    Tu m'en veux ?
    —    De m'avoir sorti de la tranchée ? Certainement. Mais tu devais le faire.
    —    Je t'ai tué. Tu dois me détester pour cela.
    L'avocat entendait sa propre voix, un murmure étrange.
    —    J'avais le choix entre mourir après deux, trois heures de souffrance, ou en finir tout de suite. Puis les copains se faisaient tuer un à un....
    —    La majorité d'entre eux a été tuée, de toute façon.
    —    Pour prendre la mitrailleuse ? C'était leur boulot.
    —    Les survivants n'ont pas apprécié. Il y en a un qui m'a tiré dans le dos !
    —    Tu en es certain, lieutenant ? Un nouveau trop nerveux a peut-être chié dans son pantalon et pressé la détente tout ensemble, en entendant une balle siffler à son oreille. Tu ne sauras jamais, et moi non plus.
    La part consciente du vétéran appréciait le ridicule de la situation : parler à un mort ! Timmy semblait de bien bonne humeur.
    —    Tu es sûr que tu ne m'en veux pas ?
    —    Je ne peux pas dire que je suis heureux d'être mort. Mais ni toi ni moi n'avons déclenché cette guerre. On se trouvait dans la même merde.
    —    Pourtant quand tu reviens, les tripes pendantes parfois...
    — Hé, lieutenant, c'est toi qui me fais revenir comme cela, les nuits où tu te sens particulièrement coupable. Cette nuit, comme tu fais une bonne action avec la gamine, tu me ressuscites une bière à la main. Occupe-toi d'elle et laisse les fantômes dormir. C'est une belle fille.
    L'étrange revenant avait utilisé le terme lassie. Le pub s'effaçait, les murs de la chambre se matérialisaient sous ses yeux. Timmy vida sa pinte de bière, posa le verre vide sur la petite table en chêne, puis partit. Le pub disparut complètement.
    Renaud regarda Lara dormir un long moment en pensant au petit soldat de Newcastle. Dorénavant son fantôme se montrerait le plus souvent sympathique. Elle avait eu raison, mieux valait parler à ceux qui nous hantent.
    Au matin, la jolie rousse dormait près de lui. Elle avait utilisé une de ses chemises en guise de vêtement de nuit. Boutonnée jusqu'au menton, elle offrait l'image d'une petite fille pudique plutôt touchante. Il remonta les couvert un s jusque sur ses épaules et alla réfléchir à sa situation dans la pièce voisine. Comment lever un peu la menace pesant sur ses épaules? Un seul argument paraissait susceptible de calmer le jeu : menacer de tout rendre public si quelque chose lui arrivait.
    Une heure après, Lara traversa la pièce pour aller à la salle de bain en lui faisant un signe de la main. Elle revint un peu plus tard plus loquace et souriante.
    —    Tu fais très jolie avec mes chemises, lui dit-il.
    Elle s'assura de la décence de sa mise. Le vêtement lui allait presque aux genoux, cela pouvait aller.
    —    Tu te portes mieux, pour faire des remarques