Haute-Ville, Basse-Ville
Lara, elle savourait sa nouvelle liberté. Dix-huit heures après sa désertion, le ciel ne lui était pas tombé sur la tête. Elle commençait à croire que les choses se régleraient d'elles-mêmes. Elle allait se faire une nouvelle vie et reléguer dans un coin reculé de sa mémoire les trois ans passés au Chat à recevoir au moins six clients par jour, six jours par semaine.
Elle résistait à l'idée de multiplier ces chiffres par cent cinquante semaines. Cette comptabilité lui donnait le vertige.
Et pourtant, elle se sentait un peu gênée de sa nouvelle intimité avec Renaud Daigle. Elle connaissait les hommes sous leur jour le moins favorable. Là, elle découvrait que l'on pouvait manger, parler, écouter de la musique avec eux. Quand en fin de soirée il alla revêtir son pyjama, elle prépara son médicament. L'idée de mettre quelques gouttes de plus que nécessaire, pour l'endormir comme une bûche, l'effleura.
Au moment où il avalait cette mixture, Lara évoqua le confort de la causeuse. Elle passa dans la chambre pour mettre l'une de ses chemises, la boutonner jusqu'au cou. Elle revint dans le salon avec une couverture pressée contre elle. Il la lui enleva des mains en disant :
— Je ne ferai jamais rien contre ta volonté. Tu ne vas pas te rompre les reins à dormir là-dessus? Je n'avais pas prévu que les choses se passent comme cela, mais je ne le regrette pas. Nous te chercherons un logement très bientôt.
Elle accepta la main tendue et le suivit dans la chambre. Un long moment, elle se tint bien droite dans le lit, un bras pendant dans le vide tellement elle se trouvait près du bord. Elle s'endormit comme cela, mais se réveilla sur le côté, tout contre lui, au milieu de la nuit. Son érection au creux de ses reins éveilla ses craintes. Elle allait se lever pour se coucher dans le salon quand il se mit à lui ronfler dans l'oreille. Elle se trouva un peu ridicule et se rendormit bien vite. A son réveil le lendemain matin, l'homme se trouvait déjà à son bureau.
Toute la journée du mardi, il s'affaira à préparer son cours. Elle passa au travers de ses photos, rêva de voyages, lut un peu. Ni l'un ni l'autre n'aborda la question de leurs frayeurs respectives. À l'heure de se coucher, personne n'évoqua la causeuse. Au lieu de prendre place au bord du lit, elle s'étendit sur le côté et se trouva naturellement contre lui. De nouveau elle sentit l'érection contre ses reins, l'impression de chaleur se communiqua à son ventre. Elle fut presque fâchée quand il s'endormit. Il avait posé un bras sur elle. Elle se sentait bien. Au milieu de la nuit, elle le secoua pour le réveiller. Il avait l'air ahuri quand elle lui dit:
—Je n'ai jamais fait l'amour. Veux-tu me montrer?
Elle savait très bien ce que signifiait se faire baiser. Mais faire l'amour fut une découverte pour elle, tout comme son premier orgasme.
Chapitre 19
Ensuite, elle ne put fermer l'œil. Dès la première visite de cet homme au Chat, elle avait pressenti cette situation. Malgré ses efforts pour réprimer cet espoir, elle y avait pensé sans arrêt après être sortie avec lui. Au cours des semaines passées à entendre parler de ses déboires amoureux, cela lui avait semblé un espoir complètement fou. Renaud avait rêvé de filles élevées chez les riches et les puissants. Seule Germaine lui paraissait un peu familière. D'origine modeste, son compagnon l'avait simplement utilisée pour tromper son ennui. Que ferait-il d'une prostituée, le pire parti imaginable?
Quand le jour blanchit la fenêtre, elle se leva, se rendit dans le salon. Elle était trop bouleversée pour se rendormir.
L'homme s'éveilla une heure plus tard. La place à côté était déjà froide. Renaud s'inquiéta un moment de ne pas la voir. Il la trouva debout devant la fenêtre du salon. Elle regardait la neige tomber sur le fleuve. Elle avait la tête un peu penchée en avant. Rien de plus émouvant que la nuque d'une femme, cet espace de peau douce, fragile, avec des cheveux follets. Sans faire de bruit, il s'approcha et l'embrassa là. Elle eut comme un frisson et son corps vint s'appuyer sur lui. Les deux mains sur son ventre, il la colla contre lui. Immédiatement, son érection lui réchauffa le creux des reins.
— Je... je me manifeste parfois de façon intempestive.
Elle pivota pour lui faire face.
— Serre-moi contre toi.
Elle avait des larmes sur les joues. La plus vive des peines d'amour
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