Haute-Ville, Basse-Ville
comme celle-là.
— Douze bonnes heures de sommeil depuis hier après-midi ont suffi pour à me remettre un peu les idées en place.
— Comment va ta blessure ?
— Ça ira. Je voulais te demander ton avis. Je songe à envoyer une lettre à Ryan précisant que s'il m'arrive malheur, quelqu'un révélera toute l'affaire. Cela l'incitera-t-il à rappeler son chien méchant, selon toi ?
— Peux-tu vraiment le faire ? Tu as un ami à qui confier toute cette histoire? Je ne peux jouer ce rôle, je suis aussi facile à atteindre que toi.
— Oui, je crois. Je ne peux me fier à Thomas Lavigerie: ce séditieux ne saurait garder le moindre secret. Toutefois, je connais un homme à Montréal, un vétéran lui aussi. Je pourrais lui remettre une lettre cachetée, à rendre publique en cas de malheur. Je lui préciserai même le nom de quelques journaux où l'envoyer.
La jeune femme demeura songeuse. Elle murmura :
— Tu n'as pas d'autre moyen, n'est-ce pas, à moins de fuir à l'autre bout du monde. Toutefois, pourquoi t'adresser à ce policier ? C'est un simple exécutant dans cette affaire. Va à la tête, à celui qui donne les ordres.
Elle était assise sur la causeuse, lui, derrière son grand bureau. Comme sa chemise remontait sur le côté, elle lui montrait une belle longueur de cuisse, sans s'en rendre compte. Elle était vraiment jolie.
— Où est la tête, dans cette affaire ?
— Au Chat, tu m'as nommé une demi-douzaine de garçons de la Haute-Ville en me demandant ce que je pensais d'eux. Ce sont eux, tes coupables, je suppose.
— Ce sont eux.
Elle remarqua son regard sur sa cuisse.
— Dans ta liste, tu avais deux fils de ministre, commença-t-elle en se levant. De qui le chef Ryan prend-il ses ordres, dans les circonstances ?
Sur ce, elle alla chercher un peignoir dans la chambre. Elle revint tout de suite vêtue jusqu'aux chevilles. Elle avait fait deux fois le tour de sa taille avec la ceinture et l'avait nouée devant.
— Nous mangeons quelque chose, où tu entreprends tout de suite le récit de tes aventures de détective amateur?
— Autant déjeuner maintenant. Je réfléchirai au ton à donner à ma lettre.
Plus tard dans la matinée, Renaud rédigea un compte rendu de l'affaire. Le nombre de muscles mobilisés pour simplement écrire, y compris dans la poitrine, l'étonna. Heureusement, Lara retrouva assez vite l'habitude de la machine à écrire : elle avait appris la « clavigraphie » au couvent, parmi de nombreuses autres choses. L'anglais faisait problème. Renaud entendait confier ce récit à un officier connu sur les champs de bataille, James Gartner. Quand cet homme était retourné chez lui à Montréal, il lui avait fait promettre de lui donner de ses nouvelles. Il serait surpris de se voir conscrit dans une pareille entreprise. Cet homme n'avait aucun lien avec le gouvernement du Québec. Il en allait de même des journalistes de langue anglaise à qui refiler l'affaire, si cela devenait nécessaire.
Le plan de Renaud était très simple. Si Gartner ne recevait pas de nouvelles de lui chaque samedi, il enverrait les enveloppes scellées à deux journaux de Toronto et à Thomas Lavigerie. Si ce dernier apprenait que la seule façon de connaître la vérité était de faire disparaître Renaud Daigle, il ne résisterait sans doute pas à la tentation de s'en charger lui-même. Lara dut donc reproduire le rapport en quatre copies. Chacune se retrouva dans une des quatre enveloppes séparées dont Renaud signa le rabat, bien scellées et adressées à leur destinataire respectif. Le tout serait envoyé dans une enveloppe plus grande.
L'avocat dactylographia la dernière missive lui-même. Seul le premier ministre avait pu orchestrer une conspiration pour soustraire ces jeunes à la justice. Dans une enveloppe sur laquelle il ajouta la mention «Confidentiel» sous le nom du destinataire, il glissa ce mot:
Très honorable premier ministre,
Voici ce que je sais: HT, WF, MB, RL, JJM et JSA à Château-Richer. S’il m'arrive quelque chose, le tout sera rendu public par des voies échappant totalement à votre contrôle. En fait, si je ne me manifeste pas régulièrement pour empêcher la diffusion, tout se mettra en branle automatiquement.
Il faudra mus rencontrer dans quelques semaines - un peu de réflexion s'impose - pour régler tout cela.
Labrador
Autant ne pas signer son nom, mais l'allusion
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