Haute-Ville, Basse-Ville

genre.
    Elle lui parlait d'un monde étrange, dangereux. Des policiers capables de recruter des criminels pour attaquer d'honnêtes citoyens, cela ne se voyait que dans les films noirs ou les romans de gare. Pourtant, la jeune femme évoquait cela tout naturellement. Elle avait vu des constables prendre une petite enveloppe des mains de Berthe, ou encore monter gratuitement avec une fille, contre la « protection » accordée au Chat. Cette obole levait la menace de descentes intempestives, jamais les policiers ne harcelaient les clients. Bien sûr, pour calmer les bonnes âmes, ils arrêtaient des prostituées une fois de temps en temps.
    Contre la promesse de détourner les yeux de certaines activités illicites, des agents pouvaient certainement convaincre un voyou de faire pression sur un citoyen.
    Lara lui expliqua tout cela en cherchant de quoi manger dans la cuisine et en refaisant du thé. Tout ce temps, la jeune femme réprimait ses propres craintes. Au moment de s'enfoncer dans un fauteuil, en face de lui, rouge de honte, la prostituée demanda :
    —    Tu as dit vouloir m'aider. Qu'avais-tu en tête ?
    —    Devrais-je payer quelqu'un, Berthe par exemple, pour qu'on te laisse tranquille? Je ne connais pas ce monde.
    —    Je ne crois pas. Elle a toujours été correcte avec moi.
    —    Tu m'as dit devoir rembourser la personne qui l'a recrutée. Celle-ci ne risque pas de se manifester?
    Son hésitation dura un bon moment. Elle souffla :
    —    C'est possible. Je ne pense pas.
    Elle se mordit les lèvres. Lara taisait ses inquiétudes, car elle ne voulait pas le voir changer d'idée. Puis Renaud étau quelqu'un d'important, il devait être hors de l'atteinte des petits criminels. Elle était incapable de retourner là-bas. Quant à lui, il considéra la question comme réglée: jamais il ne la laisserait partir. Il reprit:
    —    Le mieux serait de te louer un logement quelque pan. Je te soutiendrai le temps nécessaire pour que tu puisses te débrouiller toute seule. A Québec ou ailleurs, selon ce que tu préfères.
    —    Pourquoi? Tu agis comme Dieu: tu arrives et tu règles mes problèmes?
    —    Un tout petit Dieu. Je ne déclenche pas d'ouragan ou de tornade et je ne fais monter personne au Ciel. Je suis plus proche de ton Chariot que tu ne penses, sans doute.
    —    Mais pourquoi ?
    Il ne savait pas exactement pourquoi. Il se décida pour la candeur :
    —    Je trouve épouvantable qu'une gentille fille comme toi se soit retrouvée dans un bordel. En t'offrant un coup de main, je me donne bonne conscience.
    La réponse ne satisfaisait pas la jeune femme entièrement. Elle devrait toutefois s'en contenter. Son compagnon ne voulait pas lui donner l'impression de désirer gagner une maîtresse reconnaissante et docile. Il crut néanmoins utile de préciser :
    —    Si tu le permets, cependant, nous allons remettre à un peu plus tard la recherche d'un logement pour toi. Je me sens un peu limité dans mes mouvements. Tu n'as pas à craindre que je devienne trop entreprenant. Si cela se produit, tu me frapperas juste ici.
    De la main, il lui indiqua son sein gauche. Le mamelon coupé en deux faisait terriblement mal. Il ajouta après un moment :
    —    Depuis hier, je n'ai pas osé prendre le médicament pour ne pas sombrer trop profondément. Maintenant que tu es là, je vais céder à la tentation.
    —    Bien sûr. Je vais même te le préparer, ce médicament. Je connais.
    Elle avait vu la bouteille dans une armoire de la cuisine.
    —    Sais-tu te servir d'une arme? Si je m'endors...
    —    Si tu m'expliques, peut-être. Cependant, la meilleure protection, c'est que je peux crier très fort.
    Il lui donna tout de même une petite leçon sur l'utilisation de son revolver, en espérant qu'elle ne se tirerait pas dans le pied. Cette précaution ne lui paraissait pas vraiment nécessaire. Depuis qu'il    n'était    plus    seul,    l'anxiété    relâchait
    son emprise.
    Il dormit finalement tout l'après-midi, tandis que Lara fouillait dans ses livres au son de la radio. Comme il n'avait aucune envie de mettre les pieds dehors, elle s'assura qu'ils auraient de quoi souper avec le contenu de son réfrigérateur. Puis elle finit par remplir le bain jusqu'au bord pour se laisser tremper une bonne heure dans l'eau chaude. L'arme se trouvait sur une chaise près d'elle, pour faire face aux méchants de l'extérieur. Elle ne