Haute-Ville, Basse-Ville
récupéra enfin le pistolet dans sa poche en espérant que la chute ne l'ait pas mis hors d'usage, et il se dirigea vers la droite. La glace craquait en s'enfonçant sous ses pieds d'un ou deux centimètres. L'eau envahissait la surface terriblement glissante. Surtout, il offrait une cible parfaite, une déchirure dans les nuages le laissant visible sous la lune. Germain avait encore deux balles dans son revolver. Assez pour le tuer deux fois.
L'avocat fit passer une cartouche dans le canon de son Luger et se tourna vers son assaillant. Celui-ci se trouvait au milieu de la pente raide conduisant au cours d'eau. Il descendait lentement, de peur de perdre l'équilibre et de rouler jusqu'en bas. Renaud leva son arme et tira sur la gauche d'Ovide Germain, assez haut pour faire siffler la balle près de ses oreilles. L'autre fit feu sans viser, un réflexe dû à la peur. À ce jeu, il n'avait aucune chance contre un vétéran habitué à marcher vers les mitrailleuses allemandes. Renaud tira encore deux fois à gauche du truand, au sol, soulevant une poussière de neige.
— Va au milieu du cours d'eau, ou je te descends.
À mi-chemin de cette pente, il voyait mal sa silhouette.
À ce moment, les deux pieds de Germain glissèrent en même temps. Il tomba lourdement sur le sol, ce qui fit tonner son arme encore une fois. Le voyou roula ensuite jusqu'à la surface glacée en jurant. Il se releva avec difficulté, marcha vers le centre de la glace. Dans un craquement, il se retrouva dans l'eau jusqu'à la ceinture. Se débattant avec l'énergie du désespoir, il n'arriva pas à se tirer de l'élément glacé. Renaud ramassa machinalement les trois douilles éjectées par son Luger avant de marcher avec précaution vers Ovide Germain. Celui-ci avait percé la glace exactement là où celle-ci s'était fracturée au moment de. la chute de sa victime depuis le pont.
Son agresseur se trouvait dans un trou de moins de deux mètres de diamètre. Il s'accrochait à des morceaux de glace trop petits pour supporter son poids. Ils se retournaient plutôt et il retombait à l'eau. A mesure que ses vêtements s'alourdissaient, il se sentait irrémédiablement entraîné vers le fond.
— Aide-moi ! cria-t-il, pris de panique. Je vais me noyer !
Renaud s'approcha tout près. Il ne craignait pas trop une rupture de la grande surface de glace sur laquelle il se trouvait. La ligne de fracture demeurait bien visible, comme une frontière entre la sécurité, où il se trouvait, et la mort. Germain avait réussi à se rendre jusque-là. Il avait les deux bras sur la surface solide, sans avoir la force de se hisser. Son corps s'inclinait, le courant allait bientôt le faire passer sous la glace.
— Aide-moi !
Sa voix devenait larmoyante. Renaud remit la sécurité sur son Luger et se mit à quatre pattes pour s'avancer au bord de la grande plaque. Il tendit le canon du pistolet à Germain, lequel s'y accrocha à deux mains.
— Tu sais comment s'appelle la fille que tu cherches ?
L'autre essayait de se sortir de l'eau en tirant sur le canon de l'arme. Il fixait de grands yeux incrédules sur l'avocat.
— Je te demande son nom. Vite, tu ne tiendras pas bien longtemps.
— Lara. Elle s'appelle Lara. Tire-moi de là.
La panique se lisait sur son visage.
— Non, non. Son vrai nom. Tu te rappelles de son vrai nom ?
— Non'. Aide-moi à sortir, par pitié.
Il pleurait, maintenant.
— Virginie. Virginie Sanfaçon. Je te souhaite bonsoir au nom de Virginie. Elle va oublier ton nom très vite, elle aussi. Adieu au nom de Blanche, aussi. Tu n'as pas été très gentil avec elle. J'espère qu'il y a un enfer, juste pour toi.
Renaud lâcha la crosse du Luger. L'autre arrondit les yeux, ouvrit la bouche toute grande pour crier, mais aucun son ne sortit. Son corps s'inclina de plus en plus. L'eau caressa bientôt sa nuque, le sommet de son crâne. Ses deux bras décrochèrent. L'avocat, toujours à quatre pattes sur la glace couverte d'une pellicule liquide, le vit passer entre ses deux mains, entre ses jambes. Le truand avait l'air très surpris. Il se cramponnait toujours au canon du pistolet.
L'avocat jeta dans l'eau les trois douilles récupérées. Il ne vit nulle part l'arme de Germain. Elle devait être tombée dans la rivière. Il gagna la rive à quatre pattes. Inutile de tenter le sort plus longtemps. Il explora la pente abrupte, toujours pour trouver le revolver, sans
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