Haute-Ville, Basse-Ville

cette nuit-là. Quand tu es retourné te coucher, je suis allé dans le caveau voir ton beau travail.
    C'était vrai, Lafrance n'en douta pas. Son ton était un peu plus poli au moment de demander:
    —    Que veux-tu ?
    —    Te parler de tout cela. Pas au téléphone. Face à face.
    —    Il n'y a rien à discuter.
    —    Je suis certain que tu préféreras discuter avec moi. L'autre possibilité, c'est la police.
    Cette fois aussi, Lafrance comprit le sérieux de la menace.
    —    D'accord. Mais ça ne changera rien. Où ça?
    —    Tu peux me prendre devant chez moi demain, en fin d'après-midi ?
    —    Oui. À quatre heures.
    Seul avec Marceau: Lafrance voyait là une possibilité. Pourquoi ne pas rédiger une confession où Marceau expliquerait tout? Cette enveloppe jetée dans la boîte postale de la maison pouvait très bien avoir contenu une confession. Aux yeux des policiers, l'homosexuel ferait un coupable très présentable. Son suicide constituerait un aveu supplémentaire. Arriverait-il à placer ses souliers et ses bas dans la chambre de Marceau ? Sans doute.
    Le garçon voyait venir la fin de ses angoisses.
    Jean-Jacques Marceau gardait un souvenir toujours ensoleillé de ses premières années, avant le collège, à l'époque où il avait un père. Toute la journée de ce samedi, en attendant l'heure du rendez-vous avec Lafrance, il se remémora ces moments. Quand il entendit la Coach Overland de ce dernier s'arrêter devant chez lui, il sortit tout de suite sans faire de bruit, désireux de ne pas attirer l'attention de sa mère. La première salutation de Lafrance fut:
    —    Où va-t-on ?
    Si le scénario des événements à venir lui paraissait encore brumeux, un endroit discret lui semblait nécessaire.
    —    Près du fleuve, peut-être ?
    —    Oh ! Presque un rendez-vous galant, alors ?
    La circulation dans les rues de Québec devenait de plus en plus facile. Quelques beaux jours, ces dernières semaines, avaient fait disparaître la neige dans les principales artères de la ville. La prudence demeurait de mise, car le pavé restait couvert de glace en certains endroits. Machinalement, Lafrance alla rejoindre le chemin Sainte-Foy, le suivit jusqu'à la rue Saint-Jean. Il se dirigea vers la Basse-Ville pour atteindre le bassin Louise. Pendant la majeure partie du trajet, tous deux gardèrent le silence. Près du quai, Marceau demanda :
    —    Tu te souviens de la conversation, à la grotte ? Tu es prêt à écrire une lettre et à disparaître au loin ?
    —    Quelle idée stupide, irréalisable. Dans sa belle maison de Château-Richer, Henri s'imagine colon sur un lot en Abitibi. Je n'irai jamais me perdre au fond des bois.
    —    Pourtant, avec plusieurs milliers de dollars, il serait facile pour toi d'aller dans un autre pays. L'Australie, par exemple. Je n'ai pas beaucoup d'argent, mais je suis prêt à te donner ce que j'ai reçu de mon père à ma majorité.
    Cet argent n'existait plus. Les frais de scolarité à l'Université Laval avaient réduit à néant ce petit magot.
    —    Pourquoi tu ne le fais pas, toi ? Tu as fait monter cette fille dans l'auto. Au fond, tout est de ta faute. Sans toi, nous nous serions soûlés bien gentiment à Château-Richer, ce soir-là.
    —    J'ai une part de responsabilité, je suis même prêt à partir avec toi.
    —    Tu me demandes en mariage, ou quoi ?
    Marceau ne réagit pas. Ces moqueries, il les trouvait tellement absurdes maintenant. Lafrance reprit après un silence :
    —    Pars, toi. Ecris une confession et va au bout du monde.
    —    Je ne laisserai pas un meurtrier derrière moi. Mais je suis prêt à t'accompagner. A l'autre bout du monde, ou dans l'autre monde.
    —    Qu'est-ce que tu racontes ?
    —    L'idée du suicide, tu ne te rappelles pas ?
    Lafrance secoua la tête, émit un ricanement mauvais.
    —    Je n'ai pas envie de mourir. Ne te gêne pas, cependant.
    —    La vie ne sera pas très drôle pour l'assassin, quand cela va se savoir. Dans les prisons, on s'occupe des meurtriers de femmes ou d'enfants. Puis, ce sera la corde. Pour faire oublier que le coupable est le fils de l'un de ses organisateurs politiques, Descôteaux va sans doute plaider lui-même pour l'accusation. Comme ça, les gens vont lui pardonner. Il plaidait très bien, dans le temps.
    Lafrance passa un doigt entre le col de sa chemise et son cou. Jusqu'à dix minutes, lui