Haute-Ville, Basse-Ville
immobile, le policier descendit en soupirant. Affronter ce paroissien-là représentait une rude besogne.
Il ne se trompait pas. Le «Qui est là?» sonore du bonhomme n'avait rien d'invitant. Germain entrouvrit la porte juste un peu, jura un bon coup, fit mine de la refermer. Gagnon avait eu la précaution de glisser son pied dans l'entrebâillement.
— Nous avons à parler, dit-il. Cela peut se passer ici, on au poste de police.
Germain continua de grommeler des jurons, des paroles pas très amènes sur les enfants de chienne qui venaient le déranger dans un moment pareil, mais il ouvrit la porte. Le vieux fit signe à sa femme de disparaître : elle obtempéra sans protester. Il s'assit sur une chaise berçante, dans un coin de la cuisine, et attendit.
Gagnon tira l'une des chaises branlantes rangées autour de la table, sortit son carnet de la poche de son veston de même qu'un court crayon, et s'assit bien en face du charpentier. Tous les deux avaient les yeux verrouillés dans ceux de l'autre, comme des enfants qui se défient, pour forcer l'autre à détourner le regard le premier. Le policier prit bien son temps avant de demander :
— Que faisiez-vous samedi soir, le 3 juillet, après 17 heures?
— Rien, fit l'autre après un moment de silence.
— J'ai tout mon temps, vous savez, dit Gagnon. Si vous ne répondez pas à mes questions aujourd'hui, on vous préparera un lit au poste de police. Je mettrai les efforts nécessaires. On aura peut-être fini à Noël, avec un peu de chance.
Germain marmonna un «Va chier», juste assez bas pour que le policier devine, plutôt qu'il n'entende. Pourtant la réponse vint tout de suite à la question suivante.
— Où étiez-vous ?
— Ici, dans la maison.
— Quelqu'un peut confirmer que c'est vrai ?
— Ma femme.
Gagnon posa exactement les mêmes questions sur la journée du 4 juillet, la divisant en trois sections :
— Que faisiez-vous dans la matinée ? Où étiez-vous ? Qui peut confirmer cela ?
Il recommença pour l'après-midi, pour la soirée. Il reçut exactement les mêmes réponses, accompagnées des mêmes murmures scatologiques. Il prenait son temps, comme s'il lisait les questions une à une dans son carnet, et faisait mine de prendre les réponses en note, afin d'avoir le mot à mot de celles-ci. L'autre fulminait. Il recommença le même manège pour le lundi. Il en était à l'après-midi quand Germain perdit tout à fait patience :
— Christ d'imbécile ! Je ne travaille plus. Tous les jours, je suis ici à me tourner les pouces. Tous les jours, ma femme est ici, matin, midi et soir, dimanche, lundi, mardi. Toute la christ de semaine.
Le policier eut un petit sourire, comme envers un enfant boudeur qui se décide enfin à répondre à ses interrogations.
— Vous ne sortez jamais, vous n'allez nulle part? insista-
t-il.
— A la messe, le dimanche. Pas tous les dimanches, répondit le vieil homme.
— Mais il n'y a personne d'autre que votre femme pour confirmer cela ?
— Nous vivons dans la même maison, elle et moi. Il y avait bien Blanche, mais elle ne confirmera plus rien, maintenant. Les gars viennent parfois nous rendre visite.
Gagnon saisit l'occasion pour se renseigner sur les habitudes des rejetons :
— Le dimanche ?
— Pas nécessairement. Ils ne travaillent pas à des heures régulières, ni à des jours fixes.
— Qu'est-ce qu'ils font, comme travail ?
— Va leur demander.
— Justement, quelle est leur adresse ?
Le vieux retrouva son air furibond. Répondrait-il cette fois? Gagnon tenait son crayon en l'air, au-dessus du carnet, souriant. Il aurait pu être un commis en train de prendre une commande d'épicerie. Le vieux donna bientôt une adresse, une petite impasse dans le quartier Saint-Sauveur.
— Ils vivent tous ensemble ? demanda Gagnon.
— Ouais, c'est ça.
— Vous pouvez me rappeler leurs prénoms ?
Bien sûr, Gagnon les connaissait, et le vieux le savait. Mais il voulait l'entendre les nommer. C'était une petite victoire sur l'entêtement, la résistance de son témoin.
— Joseph, Hector et Ovide, finit-il par murmurer.
— Blanche avait une sœur. Vous l'avez adoptée aussi. Où habite-t-elle ?
Le père Germain donna une autre adresse, cette fois dans le quartier Saint-Roch, et alla même jusqu'à ajouter:
— Qu'est-ce que vous
Weitere Kostenlose Bücher