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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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de les faire marcher sous le feu, vers les lignes ennemies. S'il ne le faisait pas, tout le monde le dirait indigne de porter des galons d'officier. Après une ou deux minutes, plus de la moitié des hommes étaient sortis. Il frappait dans le dos d'un soldat, criait dans ses oreilles. Celui-ci se retourna et dit seulement :
    —    Non.
    Timmy Jordan, se rappela Renaud.
    —    Avance, cria-t-il encore.
    Il reçut la même réponse. La terreur se lisait sur le visage du soldat de vingt ans. Il pouvait le faire fusiller pour cela. Plus simplement, il pouvait lui mettre une balle entre les deux yeux. C'était à cela que servaient les revolvers des officiers : ils n'auraient pu atteindre les lignes ennemies avec cette arme.
    L'officier devait agir, sinon la panique de ce soldat se communiquerait aux autres. Déjà, ceux qui étaient sortis se retournaient vers eux. En dix secondes, ils risquaient de revenir dans la
    tranchée. Renaud appuya le canon de son arme contre le front de Timmy.
    — Avance !
    Il ne bougea pas.
    Le lieutenant n'eut pas le courage de tirer. Il l'accrocha d'une main par le col de son uniforme et sortit de la tranchée, le tirant derrière lui. A cause de la profonde excitation du moment, il arrivait à le tramer, littéralement. Timmy avait laissé son arme au fond de la profonde coupure dans la terre. Il commença bientôt à marcher comme un enfant récalcitrant remorqué par son père. Tous les retardataires leur emboîtèrent le pas. Ils progressaient vers les lignes ennemies, dans une attaque parfaitement inutile, décidée par quelques officiers d'état-major incompétents, cachés bien loin des lignes, désireux de voir leurs noms dans les annales militaires et dans les journaux.
    Renaud sentait la douleur dans sa cuisse : on ne traînait pas dans les hôpitaux militaires. Dès qu'une blessure cicatrisait bien, il fallait revenir au front. Affublé d'un pansement crasseux sur des chairs à vif, on l'avait déclaré «Bon pour le service». Tout autour de lui, l'officier voyait les hommes tomber, très nombreux. Ils offraient une cible parfaite. Pourtant ils continuaient, une longue ligne de silhouettes hésitantes, fragiles. Çà et là, des commandants hurlaient l'ordre d'avancer, le jeune Canadien parmi eux. Les balles bourdonnaient à ses oreilles.
    Bientôt, il entendit le bruit soutenu d'une mitrailleuse. Elle faucha près du tiers de son peloton. Tous les autres se jetèrent au sol. Il entendit Timmy pousser un hurlement. Le lieutenant se retourna pour le voir retenir ses tripes de ses deux mains. Une balle lui avait ouvert le ventre, alors que Renaud, la main toujours accrochée à son col, restait indemne. Dans une espèce de cuvette, le peloton, offert au feu de l'ennemi, dut reculer d'une trentaine de mètres. Les hommes s'aplatirent bientôt dans des trous d'obus. Seuls les morts et les blessés restèrent là, dont Timmy. Il hurlait sans cesse :
    —    Venez me chercher! Venez me chercher, les gars! Je vous en supplie.
    Le lieutenant se mit à vociférer lui aussi :
    —    N'y allez pas, il est à découvert.
    Deux hommes sortirent de leur trou, pour être immédiatement terrassés par les tirs en rafales. Tous déchargeaient leurs armes dans la direction de leurs exécuteurs, sans succès. Enfouis dans le sol, abrités derrière des sacs de sable, les servants de la mitrailleuse demeuraient hors d'atteinte. Il se passa deux minutes sans que personne n'essaie de récupérer Timmy. Quand les cris de celui-ci se calmèrent, des lignes ennemies on lui tira dans un genou. Il hurla, une longue plainte, atroce.
    —    Maman ! Maman ! Venez me chercher !
    —    Sur la gauche, cria Renaud. Il faut prendre la mitrailleuse à revers, sur la gauche.
    Ses hommes le regardaient, interdits. Tout près de Renaud, un autre soldat se leva pour aller vers Timmy. Il n'eut pas le temps de faire trois pas, une rafale de plomb le coupa en deux. Tous les survivants du peloton restaient figés, les yeux sur Timmy. Il était le garçon le plus populaire parmi eux, l'ami de tout le monde, toujours souriant, avec un bon mot pour chacun. Doté d'une voix très juste, il chantait pour eux tous les soirs. Il venait de recevoir une lettre d'une petite domestique. Elle lui annonçait être enceinte. Timmy avait immédiatement répondu qu'il l'épouserait à la prochaine permission. Ce ne serait pas le cas : son enfant serait orphelin et bâtard. Il hurlait, pleurait, suppliait. Renaud

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