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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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profitant de la relative fraîcheur. Puis il se secoua : sa femme allait encore lui dire qu'il avait épousé la police, et qu'elle profitait seulement de sa présence lorsque son travail lui laissait un moment de libre.
    Grâce retrouva Germaine sur un banc, à deux pas de l'église Saint-Roch. Avoir su que ce serait si long, elle aurait refusé de l'attendre, quand il le lui avait demandé tout à l'heure. D'un autre côté, la curiosité la tenaillait. Elle lui demanda dès qu'elle le vit, assez fort pour être entendue à dix pas :
    —    Ça s'est passé comment?
    —    Bien, je pense, dit Grâce en s'asseyant près d'elle, heureux de reposer un peu sa patte folle. Comment savoir exactement? J'aurais aimé lui donner plus de précisions sur mes occupations. Ils appellent cela un alibi, je crois.
    —    Des précisions sur quoi ?
    —    Oh ! « Qu'avez-vous fait le 3 juillet, de telle heure à telle heure ? » fit-il en imitant la voix de Gagnon assez bien. Comme si on prenait en note toutes nos activités, juste au cas où un meurtre viendrait à se produire.
    —    C'était la même chose pour moi. C'est tout?
    —    Il a aussi demandé comment était Blanche, depuis quand je la connaissais, des choses comme cela.
    John Grâce n'évoquerait jamais avec personne les questions plus personnelles posées par le policier, surtout le long moment où Germaine était devenue le sujet de conversation. Il demanda, plein d'espoir :
    —    Tu m'accompagnes ? Je vais dîner au Cartier.
    —    Non, je dois aller chez ma mère. Je suis d'ailleurs en retard. Le repas va être froid, et elle va encore me demander un compte rendu détaillé de mes activités depuis la fin de la messe. Elle devrait entrer dans la police.
    Elle se leva, un peu mal à l'aise de voir sa mine dépitée. «Il ressemble à un chien, se fit-elle la remarque, l'un de ces beagles aux yeux tristes, qui quête toujours une caresse.» Devant ce laissé-pour-compte, le même animal était spontanément apparu dans son esprit. Prise d'un peu de pitié, elle lui dit:
    —    Tu devrais faire la même chose. Je veux dire: aller manger chez ta mère.
    —    En tête-à-tête avec le beau-père ? Je préfère écouter de la musique.
    Grâce avait quitté la maison peu après le remariage de sa mère avec un représentant de commerce, après un long veuvage. Il avait entendu cet homme dire à l'un de ses parents, en parlant de lui, l'«infirme». Il n'avait pas eu de réaction sur le moment, mais il s'était trouvé une maison de chambres après avoir fini de payer sa radio, achetée à crédit un peu plus tôt. Le déménagement ne s'était pas fait sans heurts, sa mère lui répétant qu'il allait la «faire mourir de chagrin». Depuis, elle se portait fort bien, avec son nouveau mari. Grâce allait la voir quand celui-ci s'absentait pendant de longues périodes pour placer les chaussures fabriquées par l'entreprise Duchaîne chez les détaillants du Bas-du-Fleuve, du Saguenay ou de la Mauricie.
    L'officier regardait l'enfer devant lui, des kilomètres et des kilomètres de boue, sans autre relief que les cratères laissés par les obus. Çà et là, il y avait des troncs d'arbre noircis, dressés contre le ciel gris. Il régnait une odeur douceâtre, mélange de merde et d'urine, dans les tranchées. Beaucoup de ses hommes maîtrisaient mal leurs intestins ce matin, les excréments ne se trouvaient pas qu'au sol, mais aussi dans les fonds de pantalon - et de nombreux cadavres pourrissaient sous leurs yeux. Dans cette guerre, seuls les rats prospéraient. Ils engraissaient grâce à cette réserve sans cesse renouvelée de nourriture.
    A six heures, une fusée éclairante déchira le ciel. Renaud commença tout de suite à crier à ses hommes :
    —    Out! Out! À l'attaque.
    Il entendait leurs grognements. Les jurons sonores émaillaient leurs longues imprécations contre l'état-major. Quelques hommes du peloton sortirent de la tranchée boueuse. Les autres regardaient autour d'eux. Toujours le même jeu : c'était à qui ne sortirait pas le premier, n'offrirait pas la première cible au feu des Allemands. Car ils les attendaient, prêts à décimer la ligne des uniformes kaki.
    —    Dehors ! Dehors !
    Renaud s'énervait, poussait dans le dos des hommes de son peloton sans ménagement, donnant même des coups sur leurs épaules avec la crosse de son revolver. Son devoir était de les faire sortir de la tranchée,

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