Haute-Ville, Basse-Ville
Pas des excuses, un prêtre n'avait pas à s'excuser. Il parlait en phrases courtes, entrecoupées de silences :
— Le secret de la confession si impératif... Elle ne voulait pas voir exposer sa souffrance et sa honte... Le scandale... Le tort fait à l'institution familiale...
Le lieutenant donnait un sens à tout cela, interprétait. En clair, le curé, même si c'était bien triste pour Blanche, désirait préserver l'image que l'on cultivait de la famille québécoise. Le respect dû au rôle et à l'image du père auraient trop souffert de la publicité inévitable accompagnant une mise en accusation. Et puis, de plus, et peut-être surtout, on ne devait pas parler de ces choses-là.
Melançon n'avait plus rien d'accueillant quand il fixa longuement son regard sur l'horloge de son bureau. Gagnon se leva, le remercia sans aucune chaleur dans la voix et partit. Il sentit en regagnant l'entrée l'odeur du bon repas que servait déjà madame Curé.
Renaud Daigle s'installait confortablement. Une fois réglée la question de son intérieur, il entendait se donner quelque mobilité. Il commença dès le matin à se chercher un véhicule automobile.
Il n'y connaissait pas grand-chose, et les vendeurs faisaient exprès pour qu'il comprenne encore moins.
— Quelle race de gens détestables, ces marchands de moteurs, pestait-il encore des heures plus tard.
Il voulait juste un véhicule assez joli - la Ford T, par exemple, faisait un peu trop Spartiate à son goût - capable de le transporter avec une certaine fiabilité. Il avait trop vu en Europe de ces belles mécaniques en panne au moins une journée sur deux. Eux lui parlaient de carburateur ou d'autres organes mystérieux qui ne lui disaient rien, ne mentionnaient jamais clairement le prix, comme s'il s'agissait d'un secret d'Etat, essayaient de donner l'impression d'être là pour tout autre chose que leur commission.
Vers la fin de la journée, de toutes les explications savantes qu'on lui avait assénées, Renaud avait retenu une chose: il voulait une voiture avec un démarreur électrique, pour ne pas avoir à se battre avec la manivelle. Cet équipement serait tout de même là pour qu'il puisse actionner le moteur si la batterie était à plat, une éventualité improbable, lui avait affirmé le vendeur. Quand il lui avait dit que si cela n'arrivait pas, le manufacturier ne se donnerait pas la peine d'équiper l'auto d'une manivelle, le marchand l'avait regardé d'un drôle d'air. Le sens commun échappait tout à fait à ces gens-là.
N'ayant pas de meilleur argument pour appuyer sa décision, Daigle téléphona au commerçant le moins détestable et lui demanda à quel montant devait être fait le chèque visé de la banque. Bientôt, il sortit d'un garage avec une belle Chevrolet rouge de la série K Superior, rien de moins ! Comme il voulait le véhicule tout de suite, on lui avait donné l'un de ceux de la salle de montre. Il' s'agissait d'un petit cabriolet doté de deux places. Cela ne convenait pas au climat du Québec: mais quelles souffrances n'était-on pas prêt à endurer pour parader en plein soleil trois mois par année, quitte à geler le reste du temps. Puis le véhicule ne comptait pas tout à fait deux places : quand on laissait ouvert le coffre arrière, on trouvait là un rumble seat. L'utiliser exigeait de
réduire les bagages au minimum.
Renaud parcourut la Grande Allée en pétaradant. Il s'arrêta devant l'édifice Morency, coupa le moteur. Comme il était fier ! Il ne venait pas de se procurer un simple véhicule, il se donnait un moyen d'afficher sa prospérité. Pas plus d'un ménage sur dix arrivait à se payer une voiture dans le Québec de 1925. Le jeune homme clamait aussi sa modernité en domptant une technologie avancée. Puis il y avait la griserie liée à la liberté : il pourrait aller où il voulait, sans être limité par la force de ses jambes ou par l'horaire des transports en commun. Il pourrait y aller seul ou emmener une personne choisie !
Renaud se grisait de tout cela. Il ne put se résoudre à descendre tout de suite. Il remit en marche - ah ! la magie du démarreur électrique - et erra dans les rues de Québec.
Mis en appétit par l'odeur du repas de madame Curé, Gagnon alla manger. Ensuite, il chercha dans le village quelqu'un capable de lui parler de façon à la fois intelligente et terre à terre des Germain. Cela existait sûrement: l'encens n'embrumait certes pas la tête de tous les
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