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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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habitants de Stadacona. Il trouva, à l'atelier du forgeron.
    L'artisan se trouvait seul dans sa boutique. Le policier se présenta donc au gros homme occupé devant son feu de charbon. Dans la soixantaine avancée, la peau noircie par la fumée et la poussière, la sueur traçait des ruisseaux sur son visage et ses bras nus. Bien que vieux, les années passées à manier des masses de fer lui permettaient d'afficher encore une grande force. Il le reçut en s'essuyant les mains sur son tablier de cuir tout en disant:
    — Pauvre petite, c'est une pitié.
    Gagnon n'avait pas à faire connaître la raison de sa visite : tout le monde ne parlait que de cette affaire, et sa présence dans le village devait être commentée dans toutes les demeures. Il demanda pour la énième fois depuis la découverte du cadavre :
    —    Vous la connaissiez ?
    —    Pas plus que n'importe qui dans le village. Tout le monde se connaît ici.
    —    Comment était-elle ?
    —    Silencieuse comme une souris, timide aussi. Tellement que certains la trouvaient un peu sotte. Elle restait toujours dans un coin, sans rien dire. Selon moi, cela tenait beaucoup plus à la frayeur qu'à la sottise.
    La description paraissait plus sensée que celle offerte par le curé.
    —    Effrayée ? De quoi pouvait-elle bien avoir peur ?
    —    Comme elle a fini par se faire tuer, elle avait de très bonnes raisons d'avoir peur, ne croyez-vous pas ?
    Le forgeron avait retiré les fers qui rougissaient dans les braises, pour ne pas gâcher son travail. Le policier comprit que cet interlocuteur avait envie de parler, de lui raconter ce que tout le monde répétait dans le quartier.
    —    Alors, de quoi avait-elle peur ? demanda-t-il encore.
    —    Vous devez connaître sa famille? fît l'autre d'un air entendu. Ils étaient toujours après elle. Les voisins les entendaient rire et crier, elle, ils l'entendaient crier et pleurer.
    —    Qui ça, ils ?
    —    Le vieux d'abord, au début, puis les jeunes. Ils sont comme lui était à leur âge: des salauds. Ça, il leur a bien transmis les traditions de la famille.
    Un rire mauvais souligna ce constat.
    —    Et les voisins savaient ?
    —    Les maisons sont proches les unes des autres, dans le village, et ils n'étaient pas particulièrement silencieux. Quand le vieux faisait maison nette, sa femme se promenait dans le village des nuits complètes, avec les enfants, en attendant qu'il dégrise. L'hiver, il lui fallait même cogner aux portes pour trouver un endroit où se réchauffer. Elle a passé deux ou trois nuits ici. Je mettais un peu de charbon dans le foyer, pour les tenir au chaud jusqu'au matin.
    Faire maison nette: une expression connue dans toute la province. De temps en temps, dans un délire éthylique, ou alors en proie à une colère gratuite, un homme jetait brutalement dehors femme et enfants. Ou encore, l'épouse fuyait d'elle-même pour sauver sa peau et celle des enfants, avant d'y être invitée. L'homme, le maître, nettoyait sa maison des indésirables. Seul à détenir l'autorité, seul propriétaire de la maison et des biens, il pouvait jeter ses proches à la rue et les réduire à la plus extrême misère, s'ils ne faisaient pas ses quatre volontés.
    —    Et les garçons dans tout cela ? demanda le policier.
    —    Jeunes, ils erraient dans les rues du village avec leur mère. Plus vieux, vers quinze ou seize ans, ils étaient assez forts pour donner une raclée au bonhomme, quand celui-ci s'excitait trop.
    Le forgeron s'était mis à rire : il voyait là, sans doute, l'effet d'une certaine justice. Il continua :
    —    Cela a été plus calme dans la maison, pendant un certain temps. Puis les gars ont grandi. Ils se sont mis à boire eux aussi. Ils ont commencé à faire maison nette à leur tour. Il est arrivé au bonhomme de se retrouver dans la rue avec sa femme, deux ou trois fois au moins.
    Le forgeron s'esclaffa.
    —    Personne ne faisait rien ?
    Le forgeron le toisa, se demandant s'il venait d'un autre pays. Comme s'il ne savait pas comment les choses se passaient. Il lui expliqua, un peu impatient :
    —    Ce sont des histoires de famille. Cela se règle en famille. Un conseil de famille doit s'occuper de ces affaires-là. Pas les voisins.
    «Bien sûr, se dit Gagnon. Chaque tribu doit régler ses affaires privément. On se réunit, oncles, tantes, neveux, nièces, surtout frères et sœurs, et on essaie de

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