Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
frères et moi ne pouvions pas nous trouver de plus belles filles qu'elle? Nous ne sommes quand même pas si moches.
    Son assurance écœura Gagnon.
    —    Ce n'est pas ce que plusieurs personnes ont déclaré.
    —    Des racontars, des histoires de bonnes femmes.
    Joseph Germain répondait tout de suite, avec un petit sourire ironique. Le lieutenant lui fit signe de partir, puis appela son frère Hector. Il posa exactement les mêmes questions, et il reçut exactement les mêmes réponses, dans les mêmes termes. Les frangins avaient eu la nuit pour convenir de leur histoire et l'apprendre par cœur.
    Le mieux aurait été de les isoler les uns des autres et de les interroger à fond, pendant des jours si nécessaire. Mais il aurait fallu à Gagnon une raison de les arrêter: jusqu'à preuve du contraire, ils étaient seulement les frères de la victime.
    Il restait encore une personne que le policier devait rencontrer avant de se faire une idée définitive: Marie-Madeleine, la sœur de Blanche. Il avait retardé ce moment, sachant combien cet interrogatoire serait pénible. Il trouvait difficile d'évoquer l'inceste devant ceux qu'il soupçonnait d'en être coupables, mais cela était plus délicat encore avec une victime. Chemin faisant, il regretta l'absence de policières à la municipalité, à qui confier cette corvée. Il eut l'idée d'aller chercher l'une des quelques travailleuses sociales logées dans les bureaux de l'hôtel de ville, pas très loin des locaux du poste de police, d'ailleurs. Il se retint, car le procédé aurait paru peu orthodoxe à ses collègues.
    «Assez hésité», se dit-il en arrivant devant le numéro 98 de la rue de la Reine, dans le quartier Saint-Roch. Le père Germain lui avait dit 98 A. Cela pouvait signifier deux choses : un sous-sol obscur, ou une cabane au fond d'une cour. Pour rentabiliser au maximum leur capital immobilier, certains propriétaires transformaient en logements les hangars, parfois les écuries se trouvant à l'arrière de leurs édifices locatifs. Ils finissaient par trouver preneurs pour ces taudis, car il arrivait tous les jours à Québec une horde de personnes des campagnes de l'est de la province, à la recherche d'un emploi.
    Ces familles d'agriculteurs déracinés, attirées par les lumières et le confort de la ville, se retrouvaient au moins pour un temps - le temps de chercher des emplois pour tous les membres de la famille âgés de plus de douze ans - dans des arrière-cours répugnantes. Les ménages dont le père était décédé, malade, infirme ou autrement rendu incapable d'assurer la subsistance de ses proches, se trouvaient là aussi sans espoir d'en sortir un jour. La rue de la Reine avait toute une rangée de ces logements, derrière les maisons décentes qui donnaient sur le trottoir.
    Le 98 A était une bâtisse branlante de deux étages, couverte de tôles. Çà et là, afin de boucher des trous sans doute, on avait déroulé la tôle de grosses boîtes de conserve pour la clouer sur les cloisons. On pouvait encore voir les marques de commerce, dont les couleurs étaient délavées par les intempéries. Cela donnait aux murs un étrange effet de courtepointe. De même, on avait placé des morceaux de prélart goudronné sur le toit, pour le rendre à peu près étanche. Des guenilles aux rares fenêtres, en guise de rideaux, étaient les seuls indices permettant de voir que des gens habitaient là.
    Le policier frappa à la porte branlante. Un cri vint de l'intérieur pour lui dire d'entrer. Il se trouva dans une cuisine crasseuse. Les quelques meubles - une table, des sièges dépareillés - devaient avoir été récupérés à la décharge publique. Une femme, assise sur une chaise défoncée, le regardait, un peu effrayée. Il lui déclina tout de suite son identité, pour soulager sa crainte d'avoir affaire à un quelconque créancier. Il n'eut pas l'impression de la voir calmée qu'il soit de la police.
    Elle pouvait avoir vingt ans tout juste, mais aussi quarante. Il s'agissait d'une femme déjà déformée par les grossesses successives. Obèse, sa robe délavée retenait mal ses chairs molles. Le corsage était ouvert, une mamelle pendait jusqu'à la bouche du bébé qu'elle tenait dans ses bras. Il y avait un autre enfant d'une vingtaine de mois sur le plancher, à demi affalé, cul nul dans ses excréments. Sa peau grisâtre et sa respiration haletante faisaient douter qu'il traîne encore longtemps dans ce monde.

Weitere Kostenlose Bücher