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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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l'atteindre, mais celui-là, oui. Ou peut-être était-ce seulement le souvenir des peurs passées, à l'évocation de son père, de ses frères. Ce fut un bref moment, puis son expression se figea encore. Gagnon en acquit alors la certitude, cette femme partageait ses soupçons. «Non, se dit-il, pour elle ce ne sont pas des soupçons, c'est une certitude. »
    Il chercha bien un moment des paroles de réconfort, ne trouva rien. Il se leva de la chaise qu'il avait tirée, murmura quelques salutations et se dirigea, non, se précipita vers la porte. Dehors, il put respirer à peu près bien. Il décida de téléphoner à une travailleuse sociale dès l'instant ou il rentrerait au poste.
    —    C'était sûrement en sortant d'ici, murmura-t-il, que Blanche parlait avec le plus d'enthousiasme de se faire religieuse.
    Gagnon passa une bonne heure à concocter un court rapport sur les résultats de son enquête. Les pièces trouvaient leur place tout naturellement. Ces types avaient abusé de la jeune fille. Ils étaient violents. Ils possédaient un véhicule fermé, avec lequel transporter quelqu'un, mort ou vivant, ne posait pas de problèmes. Leur entrepôt aux murs épais, à l'entrée assez discrète, avait pu servir de prison à la jeune femme. A la fin de l'après-midi, il déposait un texte succinct sur le bureau du chef de police, Daniel Ryan, et s'asseyait devant lui pour dire :
    —    Je suis certain que les Germain ont tué Blanche Girard.
    Comme Ryan soulevait les sourcils en guise d'interrogation, il expliqua :
    —    Ce sont les parents adoptifs de Blanche et de sa sœur. Le père et ses fils couchaient avec les deux filles. Les trois frères, de petits trafiquants d'alcool, ont sans doute fait le coup. Peut-être avait-elle menacé de les dénoncer, tout simplement.
    Daniel Ryan parcourait le rapport. Une première lecture lui prit quelques minutes, puis il recommença plus lentement. Avec un air évident de satisfaction, il déclara bientôt :
    —    Tu as sans doute raison, mais tu n'as pas de preuve. Les déclarations d'Edmond Girard ou du curé, ce sont au mieux des ouï-dire, sinon des spéculations. C'est la même chose pour les voisins de Stadacona. On ne sait même pas s'ils répéteraient tout cela devant un tribunal. Et je ne parle ici que de la question de l'inceste. Pour le meurtre, tu n'as aucun élément.
    —    Mais nous en savons assez pour obtenir un mandat de perquisition. En passant la maison de Stadacona et l'entrepôt de la rue de la Petite-Hermine au peigne fin, le camion aussi, on risque de trouver des choses. Par exemple, l'assassin a gardé les souliers et les bas de Blanche, car ils ne se trouvaient pas avec le corps. Si nous les interrogeons sérieusement, peut-être que l'un d'eux va craquer.
    —    Nous allons demander à un juge un mandat de perquisition. Quant à un interrogatoire serré de ce beau monde, ce ne sont pas des enfants de chœur. Si on ne trouve rien lors de la perquisition, il sera impossible d'aller devant un tribunal.
    Ce constat tout à fait raisonnable révolta l'enquêteur. Il s'insurgea :
    —    Ce sont des contrebandiers d'alcool. On peut au moins les coincer pour cela.
    —    Tu sais comme moi que, pour les gens en haut lieu, ce n'est pas un bien grand péché. Au bureau du procureur général de la province, ils ne vont pas lancer une croisade à ce sujet, crois-moi. Si ça se trouve, des gens de ce service et même de la Police provinciale doivent figurer sur la liste de paie des contrebandiers. C'est cette police-là, après tout, qui s'occupe des crimes de la route, comme transporter de l'alcool aux Etats-Unis.
    Le chef de police répétait les hypothèses souvent émises par la population. Cette contrebande, tout le monde prenait ça un peu à la blague au Québec. Personne ne percevait cela comme un vrai crimé, juste un peu de commerce, rendu possible parce que les Américains étaient trop puritains pour mettre fin à la prohibition. Toutes les autres provinces du Canada étudiaient la loi qui régissait la Commission des liqueurs québécoise, et chacune allait en adopter une semblable bientôt, si ce n'était déjà fait.
    —    Et même si tu les amènes devant un tribunal pour contrebande, continua Ryan après une pause, même si tu obtiens leur condamnation - tu vois combien c'est improbable -, tu ne seras pas plus avancé dans ton affaire d'assassinat. On perquisitionne, je te l'accorde, puis on décide

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