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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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les deux mondes.
    —    C'est vrai, dans une certaine mesure seulement. Je peux être vue comme une bonne petite Canadienne française fraîche émoulue du cours classique féminin. D'un autre côté, mon père a fait de moi une véritable Irlandaise. Il vous aurait fallu me voir à dix ans, affublée de vert, danser une gigue endiablée avec lui. Cependant, seuls les Canadiens français imaginent que les Anglais du Canada forment un bloc homogène. Etre catholique et irlandaise n'attire aucune sympathie dans les salons de Westmount. Ces gens-là font encore une maladie de l'indépendance de l'Irlande acquise il y a quatre ans. Même à McGill, ma présence n'allait pas de soi.
    Les frontières ethniques et religieuses, entre les Canadiens, demeuraient étanches.
    —    Vous avez fait des études à McGill ? s'enquit le jeune homme.
    —    En dilettante seulement, répondit-elle. J'ai obtenu un baccalauréat ès arts. Là aussi, l'accès aux professions n'est pas facile pour une femme.
    Renaud calcula mentalement : « Elle doit donc avoir vingt-trois ans, pas moins de vingt-deux. Elle ne les fait pas. »
    —    Vous auriez aimé faire des études plus sérieuses ? demanda-t-il à haute voix.
    —    La faculté de médecine accepte des candidates depuis 1918. Mais les places abandonnées aux femmes ne sont pas nombreuses.
    —    C'est plus facile dans certaines provinces canadiennes, je pense.
    —    Oui, mais avant d'avoir vingt et un ans, je ne pouvais m'inscrire nulle part sans la signature de mes tuteurs. Dans mon cas, le fait de ne pas avoir de parents n'a rien ajouté à ma liberté: je me trouve soumise à la tutelle d'une armée d'oncles et de tantes qui veulent mon bien. Pour ces personnes, mon bien ne pouvait se trouver plus loin que les humanités à McGill. Déjà, l'idée de faire des études universitaires leur paraissait saugrenue.
    Renaud saisit l'occasion afin de connaître son âge :
    —    Maintenant vous êtes en mesure d'aller où vous voulez ?
    —    Je suis majeure, en effet, si c'est ce que vous voulez dire, fit-elle en riant. J'ai parfois envie d'un séjour aux Etats-Unis. Mais, sans doute à cause de ma moitié canadienne-française, je me sens des obligations familiales. La tante chez qui je réside présentement est malade. Comme je suis une bonne fille, elle arrivera sans doute à me convaincre de passer l'hiver avec elle. Elle me dit que je serai tout à fait libre l'été prochain, puisqu'elle sera morte. C'est un argument difficile à ignorer.
    Naïvement, Renaud fut heureux de savoir qu'elle serait là pour une année, dans la Haute-Ville, tout au plus à quelques minutes de marche de chez lui. Naïvement, car lorsqu'ils passèrent à Château-Richer, elle commenta en lui montrant une rangée de vieilles demeures canadiennes adossées à la falaise :
    —    Henri possède l'une de ces maisons. Comme c'est charmant ici.
    Sa voix était tout excitée. L'endroit était beau, ces habitations construites au milieu de bouquets d'arbres fruitiers devaient offrir une belle vue sur le fleuve. Mais c'était tout de même des maisons de cultivateurs.
    —    Que fait-il dans cette paroisse? Il veut se faire agriculteur ?
    Le conducteur ne partageait pas l'enthousiasme bucolique de sa passagère.
    —    Mais non. Comme cela, il peut faire des fêtes sans déranger ses parents.
    Tard dans l'après-midi, Renaud stationnait devant une jolie petite maison, dans une rue perpendiculaire à Grande Allée. Il porta la valise de Helen jusque sur le seuil de la porte. Elle le remercia avec effusion, lui tendit la main. Il la tint juste un peu plus longtemps que nécessaire, tout en lui demandant, les joues roses de timidité :
    —    Si vous le permettez, j'aimerais vous inviter à sortir, ces jours prochains.
    —    Si vous voulez, fit-elle après une pause.
    Elle ne se départit pas de son sourire, mais Renaud n'était pas certain de pouvoir se montrer optimiste.
    —    Vous savez maintenant où j'habite, ajouta-t-elle, narquoise.
    Le comportement de Gagnon s'améliorait toujours quand il se trouvait sur les lieux de son travail. Sans doute l'obligation de présenter l'image du policier sûr de lui, en pleine possession de ses moyens, l'aidait-elle à mobiliser ses énergies et à secouer sa torpeur. Ce lundi matin, il commença par s'enquérir de ses prisonniers. Il avait espéré que les barreaux les ramolliraient jusqu'à livrer une confession

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